Catégorie : Livres

« De l’importance du dessin : en tatouage » avec Léa Nahon, Gus BLK et Alexandray Bay

Formé aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, Olivier Poinsignon est un artiste et un tatoueur qui dissèque ce médium comme on dissèque une œuvre : le geste, le trait, le support, tout est matière à réflexion. Très tôt, il s’est éloigné du chemin académique pour creuser une veine « noire, graphique et abstraite », faite de lignes tendues, de contrastes nets. Pour Olivier, le tatouage n’est ni un effet de mode ni une simple signature stylistique. C’est un acte artistique à part entière et un geste qui interroge.

C’est dans cet esprit qu’il nous a réunis avec Léa Nahon et Gus BLK pour débattre d’une question en apparence anodine, mais qui soulève de nombreuses pistes de réflexion. Qu’est-ce que cela veut dire, « savoir dessiner », quand on tatoue ? Guidés par le redoutable modérateur Olivier Poinsignon, nous avons passé une bonne heure à croiser nos points de vue sur la technique, la composition, l’importance d’épouser le corps — pour tenter d’approcher cette définition insaisissable, et surtout de répondre aux difficiles questions de M. Poinsignon.

https://www.patreon.com/posts/de-limportance-144532518

Texte d’Olivier Poinsignon, présentation de l’émission :

En octobre 2025, j’ai présenté ma conférence « de l’importance du dessin » à la convention du Luxembourg. Je souhaitais réaliser cette table ronde en amont pour étayer mon propos… mais c’est l’inverse qui s’est produit.Venez passer 1 h en présence d’une incontournable figure du tatouage dessiné, d’un esthète abstrait remarquable, d’une journaliste aussi passionnée qu’érudit et d’un Olivier Poinsignon déterminé à fixer quelques concepts dont le reste de la profession pourra s’emparer.

Nos échanges sont des armes pour défendre et faire grandir notre métier passion.

Faites en bon usage.

Retrouvez le travail de Léa Nahon sur instagram : https://www.instagram.com/lea_nahon/

Retrouvez le travail de Gus BLK sur instagram : https://www.instagram.com/gus_blk/

Retrouvez le travail et les livres d’Alexandra Bay ici : https://www.histoire-du-tatouage.fr/

et suivez là sur instagram, elle fait un travail important : https://www.instagram.com/xalexandraxbayx/

Retrouvez-moi tous les vendredis sur youtube, patreon et spotify pour creuser avec moi en quête du trésor qui permettra aux tatoueurs d’être reconnus comme des artistes.

Participez également à l’aventure en me soutenant activement sur Patreon et en accédant à mon contenu exclusif toues les lundis.

Manny, gardien des traditions

Manny appartient à cette génération de tatoueurs pour qui chaque trait gravé dans la peau résonne comme un hommage aux pionniers du tatouage traditionnel électrique. Héritier d’un savoir précieux, il œuvre avec ferveur à transmettre ce legs, conscient de la route tracée par celles et ceux qui l’ont précédé. Tatoueur, collectionneur, artiste et artisan, il tatoue avec le cœur — porté par une passion authentique et un profond respect de cet art.

Manny

Athènes underground

Né en Allemagne de l’Ouest de parents grecs, Manolis Panagiotou grandit à la croisée des cultures, entre ses racines hellènes et un quotidien ancré dans un environnement urbain contrasté. C’est le tatoueur de Liverpool, Steve Crane, qui le surnomme un jour Manny, un surnom qu’il adopte définitivement. Très tôt, son père lui transmet le goût du dessin, l’encourageant à manier le crayon non seulement pour écrire, mais pour observer et raconter le monde à sa manière. Il garde en mémoire ces instants où, fasciné, il le regardait dessiner des pin-up dans un style typique des années 1960. On pense aux icônes popularisées par Gil Elvgren. Trente-cinq ans plus tard, ce même père lui demande de lui tatouer une rose sur le bras. Manny se souvient, ému : « C’était son tout premier tatouage… Une expérience incroyable pour nous deux. »

C’est la culture punk qui me correspondait le mieux à ce moment-là, et je l’ai pleinement embrassée. 
Manny

Quand la famille retourne s’installer en Grèce, c’est à Athènes que Manny vit son adolescence, en plein tumulte des années 1990. Jeune ado sauvage, il est happé par l’énergie brute de la capitale, qui aiguise son regard sur le monde. « J’avais l’impression d’être dans un film », raconte-t-il. « Athènes était une ville dure, noyée dans les drogues, les bars clandestins, les squats, les manifs à répétition, les mouvements politiques éclatés. » Il garde en mémoire cette mosaïque urbaine où cohabitaient des scènes musicales bien distinctes : punk, skinhead, rock, métal, rockabilly, gothique, new-wave, techno… « et j’en oublie sûrement ! » glisse-t-il, avant de conclure : « C’est la culture punk qui me correspondait le mieux à ce moment-là, et je l’ai pleinement embrassée. »

Gil Elvgren

Naissance d’un tatoueur

C’est dans les squats autogérés d’Athènes que Manny fait la rencontre décisive de Susanna. La tatoueuse gréco-allemande est une figure emblématique de la scène punk locale, respectée pour son engagement sans failles. Il se souvient : « Elle était toujours en première ligne, que ce soit pendant les concerts ou lors des affrontements. » C’est elle qui l’initie au tatouage. Installée dans la mythique Villa Amalias — « un lieu incontournable pour toute la scène underground grecque », précise-t-il —, Susanna lui pique son tout premier tatouage. « J’ai été immédiatement hypnotisé, raconte-t-il. J’étais tellement accro que j’ai lentement commencé à me tatouer les bras, puis les jambes. » Susanna le conseille, et surtout, lui met le pied à l’étrier : c’est grâce à elle qu’il met la main sur ses premières machines du fabricant anglais Micky Sharpz, « les meilleures à l’époque ». Une vocation est née — et ne le quittera plus jamais.

À la fin des années 70, début 80, le légendaire Jimmy dirigeait l’unique salon de la ville. Ses prix étaient inaccessibles pour la majorité. La plupart des tatouages étaient donc réalisés dans des appartements privés ou des squats. 

Manny

Avant Internet, lorsque l’histoire du tatouage ne se transmettait que par les livres ou de bouche à oreille, entre passionnés tatoués et artistes chevronnés, se forger une culture tattoo relevait d’une véritable quête personnelle. À ses débuts, Manny arpente les kiosques d’Athènes, à la recherche de magazines spécialisés venus de l’étranger — des incontournables pour ceux qui souhaitaient pénétrer cet univers. C’est à travers ces pages qu’il découvre les pionniers du tatouage américain, les maîtres du style japonais et les traditions parfois oubliées. Il se souvient : « Il n’y avait qu’un seul kiosque, en plein centre-ville, qui proposait ces revues venues du monde entier. On y trouvait des magazines de motos, de tatouage, de musique… C’est vite devenu un lieu de rencontre improbable pour les passionnés. Des amitiés solides y sont nées, qui durent encore aujourd’hui. »

@manny_tattooer

Le studio Black Rose

À cette époque, exercer comme tatoueur en Grèce impliquait un choix de vie radical, loin des normes établies. Le pays, encore relativement coupé du reste du monde, offrait peu d’espace à ce type d’expression corporelle. Manny se souvient : « À la fin des années 70, début 80, le légendaire Jimmy dirigeait l’unique salon de la ville. Ses prix étaient inaccessibles pour la majorité. La plupart des tatouages étaient donc réalisés dans des appartements privés ou des squats. »

Ce n’est qu’au tournant des années 2000 que l’art corporel commence tout doucement à se démocratiser. On recense alors cinq ou six studios dans tout le pays. Manny décide enfin de franchir le pas et de se professionnaliser, devenant à la fois tatoueur et perceur. En plein essor, le piercing représente une source de revenus non négligeable. Fort de son expérience, en 2005, il ouvre Black Rose en plein cœur d’Athènes, au pied de l’Acropole.

@manny_tattooer

Sanctuaire de la liberté

Black Rose est bien plus qu’un simple salon de tatouage : c’est un véritable sanctuaire de liberté, de création et de transmission. Manny s’y investit corps et âme, guidé par le désir de partager son univers et son savoir. Pour lui, le tatouage dépasse de loin l’esthétique : c’est une manière d’être et de penser le monde. Un langage visuel et symbolique nourri de musique et de philosophie. Fier de ses racines helléniques, il fait découvrir le Rebetiko à ses visiteurs, un genre musical populaire grec du début du XXᵉ siècle. Longtemps réprimé par le régime des colonels à cause de ses paroles jugées subversives, ce style mélancolique et authentique est, à ses yeux, l’équivalent sonore du tatouage traditionnel électrique : brut, spontané et libre, une forme d’expression née des marges.

On est devenus de très bons amis [Danny Garcia]. Il a fondé le légendaire Inkstanbul Artcore, l’un des shops les plus underground que j’aie jamais vus. Ce qui se passe à Artcore reste à Artcore !
Manny

Manny confie : « Athènes est l’une des villes les plus anciennes du monde, berceau de la philosophie et de la démocratie. Pendant une vingtaine d’années, cette belle ville éclectique a été mon foyer. J’y ai tatoué des personnes issues de tous les milieux, échangé des idées, des expériences, de la musique, des philosophies. » Vers 2012-2013, porté par sa passion pour l’artisanat et les belles mécaniques, il se lance dans la fabrication artisanale de machines à tatouer, de câbles et de pédales. Avec son ami et associé, il fonde Black Cat Bone, une petite entreprise indépendante dédiée à un savoir-faire de précision.

Black Cat Bone

Les pionniers du tatouage

Après plusieurs années à la tête de son studio, Manny ressent le besoin de dépasser les frontières de la cité des dieux. Dans sa quête incessante de nouvelles expériences, le tatoueur voit dans le voyage une manière de se réinventer. « Voyager a toujours joué un rôle clé dans ma vie, confie-t-il. Cela a enrichi mes connaissances, noué des liens humains solides, et élargi ma compréhension de cet art. » Au fil de ses voyages, Manny étudie les pionniers du tatouage traditionnel électrique.

J’étais entièrement tourné vers l’étude des anciens maîtres, cherchant à reproduire fidèlement leurs motifs originaux. J’ai eu la chance de rester proche d’Ernie jusqu’à ses derniers jours. 
Manny

À Istanbul, il fait la connaissance de Danny Garcia : « On est devenus de très bons amis. Il a fondé le légendaire Inkstanbul Artcore, l’un des shops les plus underground que j’aie jamais vus. Ce qui se passe à Artcore reste à Artcore ! » Danny lui fait découvrir sa collection de machines américaines et l’incite à développer la sienne. Woods du studio Hollyghost, au Luxembourg, lui permet de tatouer avec des pièces rares signées Paul Rogers, Sailor Jerry, Owen Jensen et Charlie Wagner. L’artiste s’imprègne de ces mécaniques qui nourrissent ses propres conceptions.

@manny_tattooer Design 1930

Shanghai Kate, Razzouk, Ernie Carafa….

Shanghai Kate Hellenbrand, formée auprès de Sailor Jerry et proche d’Ed Hardy et de Mike Malone, lui apporte ses conseils et lui offre des dessins. À Jérusalem, il est accueilli par Wassim Razzouk, héritier d’une lignée de tatoueurs vieille de 700 ans. Il a la chance de manipuler les tampons traditionnels en bois transmis à travers 27 générations de tatoueurs et empreints d’un symbolisme sacré. Puis, il se lie d’amitié avec Ernie Carafa, ancien associé de Paul Rogers, qui lui offre des tattoo flash et des pochoirs en acétate. « Cette période a été déterminante, explique-t-il. J’étais entièrement tourné vers l’étude des anciens maîtres, cherchant à reproduire fidèlement leurs motifs originaux. J’ai eu la chance de rester proche d’Ernie jusqu’à ses derniers jours. »

 Doc King et Amund Dietzel restent mes références majeures. Ils ont travaillé ensemble dans les années 1920 et forgé un style unique, emblématique de leur époque. 
Manny

D’autres rencontres marquantes jalonnent le parcours de Manny, qui poursuit inlassablement sa quête de savoir. Carmen Nyssen, historienne et nièce de Bert Grimm, lui transmet ses connaissances et l’initie aux recherches documentaires. Charlene Gibbons, fille d’Artoria et de Red Gibbons, lui offre à son tour des conseils. Quant à William Robinson, fondateur du World’s Biggest Tattoo Museum, il lui ouvre l’accès à ses collections exceptionnelles — machines anciennes, photographies rares, archives précieuses — autant de trésors qui enrichissent sa compréhension des traditions.

The Rock of Ages @manny_tattooer

Des références majeures

Porté par une approche patiente et rigoureuse, nourrie de l’étude des grands maîtres, Manny parvient à affirmer une identité artistique profondément ancrée dans la tradition. Il assume pleinement ses influences : « Doc King et Amund Dietzel restent mes références majeures. Ils ont travaillé ensemble dans les années 1920 et forgé un style unique, emblématique de leur époque. » Parmi ses sources d’inspiration, une figure s’impose avec force : Sailor Jerry. « Il a révolutionné le tatouage old-school. Grâce à ses techniques, ses idées audacieuses et ses connexions à l’international, il a insufflé à ce style une modernité saisissante. » Manny rend aussi hommage à d’autres figures clés qui ont façonné l’histoire du traditionnel électrique : Ed Hardy, dont le parcours a élevé cet art à une reconnaissance inédite ; Mike Malone, Pinky Yun, Brooklyn Joe Lieber, Cap Coleman, Christian Warlich, Huck Spaulding, Paul Rogers… autant de pionniers qu’il considère comme des maîtres, chacun à leur manière.

@manny_tattooer, design de 1920

On dirait le sud

Installé dans le sud-ouest de la France depuis 2018, Manny poursuit son parcours avec la même exigence et une fidélité sans faille à ses convictions. Il dessine toujours ses planches de flash à la main et tatoue avec des machines qu’il fabrique lui-même. « Je garde la flamme vivante, confie-t-il. Être tatoueur demande une vision d’ensemble. Seul le temps peut juger la valeur d’une telle démarche. » Aux côtés de sa compagne Athina, il participe régulièrement aux festivals et conventions, et constate : « Dans beaucoup de festivals, je vois peu à peu l’esprit du tatouage s’éteindre. Heureusement, certains événements résistent, comme celui de Mont-de-Marsan. Plus intime, plus engagé, il se distingue par une approche artistique sincère et encourage une vraie rencontre entre artistes et visiteurs. »

@manny_tattooer, designs de Bert Grimm et Doc King

Lucide, Manny observe les mutations du monde du tatouage avec un regard critique. Il déplore les effets de la médiatisation à outrance, des réseaux sociaux et de la standardisation, qui ont selon lui affaibli la profondeur du geste. « Je ne suis pas contre l’évolution, bien au contraire. Mais il faut rester vigilant. On perd parfois le sens, la mémoire, les techniques et les valeurs qui fondent cet art. » Pour le tatoueur, cette responsabilité de transmission est essentielle. À ses yeux, dans un monde où cinq années de pratique suffisent à faire de quelqu’un un « vétéran », il est d’autant plus crucial de partager avec les jeunes générations des principes solides, fondés sur le respect, l’engagement et la mémoire du métier.

The farm tattoo project, située dans le sud de la France

The Tattoo Farm Project

Au fil du temps, Manny a construit une œuvre multiple : tatoueur, historien, artisan, passeur, il incarne une figure rare, à la croisée de la pratique et de la mémoire. Fidèle à cette vision, le tatoueur a développé un projet unique : The Tattoo Farm Project. Sur leur terrain surplombant les Pyrénées, Manny et sa femme Athina souhaitent accueillir les clients dans un cadre simple et chaleureux, loin de la frénésie urbaine.

[…] un tatoueur traditionnel, selon Manny, ne reproduit pas un style, il en porte la mémoire vivante.

L’idée : proposer des séjours immersifs autour du tatouage, mêlant musique, apéritifs, discussions, tatouages uniques et objets artisanaux. Les clients pourront choisir des pièces historiques issues de sa collection personnelle (de 1860 à nos jours), et repartir avec des illustrations, des dessins ou des objets artisanaux. L’objectif est clair : retrouver le lien, donner de la substance à l’expérience du tatouage, dépasser la simple prestation esthétique pour proposer un moment de partage et de création, enraciné dans l’histoire et la convivialité.

Pour conclure, Manny tient à rappeler l’étymologie du mot tradition, en grec, « celui qui transmet les mœurs et les coutumes », à l’image d’un musicien qui ne se contente pas de jouer les notes, mais incarne aussi l’âme du morceau. De même, un tatoueur traditionnel, selon Manny, ne reproduit pas un style, il en porte la mémoire vivante.

Le paradis ? non, la vue de The farm tattoo project

Instagram de Manny

https://www.instagram.com/manny_tattooer

Mémoire de Ryūkyū [Hajichi], par Hiroaki Yamashiro

琉球の記憶 針突 [ハジチ] – Mémoire de Ryūkyū [Hajichi] par Hiroaki Yamashiro

Publié initialement en 2012 et réédité en septembre 2020, Mémoire de Ryūkyū [Hajichi] est un ouvrage essentiel. Il s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à la culture et à l’histoire d’Okinawa. Ce livre met en lumière le travail d’Hiroaki Yamashiro. Il est l’un des rares photographes de presse à avoir documenté les femmes Okinawaïennes portant le Hajichi. Ce sont des tatouages traditionnels réalisés sur les mains, symboles d’identité et de rites culturels.

En 1970, Hiroaki Yamashiro commence ses études à l’Université d’Okinawa, dans un contexte marqué par l’occupation militaire américaine. Les tensions montent et la population locale se soulève, un événement que le jeune étudiant observe et photographie. Ces premières expériences journalistiques forgent sa vocation. Il devient photographe pour un journal local. Il capture les instants de la vie quotidienne et les manifestations de la culture Okinawaïenne.

Hiroaki Yamashiro a documenté les tatouages Hajichi, qui symbolisaient autrefois les différentes étapes de la vie des femmes dans la société de Ryukyu, en 1972. ©Hiroaki Yamashiro

Focus sur le Hajichi

Au fil de sa carrière, Hiroaki consacre plus de quarante ans à documenter Okinawa sous toutes ses facettes. Son objectif se fixe autant sur les paysages et les scènes urbaines que sur les gestes et traditions des habitants. Parmi ces traditions, le Hajichi occupe une place centrale. À travers ses photographies, Yamashiro révèle la beauté de ces tatouages. Il met également en lumière leur signification profonde et leur rôle dans la mémoire collective de l’archipel.

Le livre, entièrement rédigé en japonais, est un témoignage rare et précieux de la culture Okinawaïenne. Cet ouvrage réunit des images historiques et contemporaines. Il offre une immersion dans la vie quotidienne et les rites ancestraux de la région. Disponible au prix de 38,99 €, il constitue une ressource incontournable pour les historiens, ethnologues et passionnés de photographie. Il s’adresse aussi à toute personne désireuse de découvrir l’âme d’Okinawa à travers l’objectif d’un photographe engagé et sensible à son héritage culturel.

Le jour où Irène Woodward devint une Tattooed Lady

Le 18 mars 1882, Irène Woodward fit ses premiers pas de Tattooed Lady, à New York. Âgée de 19 ans, la jeune femme inaugura sa carrière dans les salons du manoir The Sainclair House. Ainsi, la belle Irène devint la reine du Freakdom, le royaume des créatures étranges et fascinantes. Elle fut l’une des premières artistes à se faire tatouer pour le spectacle. Sa médiatisation inspira et ouvrit la voie à une longue lignée de princesses tatouées à l’encre bleue.

Crédits : Ronald G. Becker Collection de Charles Eisenmann Photographies — Université de Syracuse — Photographe inconnu, Domaine public.

Photographie d’Irène Woodward issue de la collection Ronald G. Becker Collection de Charles Eisenmann Photographies, de l’Université de Syracuse

Irène woodward, la nouvelle reine du Freakdom

Les années 1880 signèrent l’âge d’or du freakshow, le spectacle de l’étrange. L’une de ses figures emblématiques entra en scène dans les salons de The Sinclair House. Auréolée de mystère, la luxueuse maison victorienne était le lieu idéal pour présenter cette nouvelle reine du Freakdom. Le samedi 18 mars 1882, Irène Woodward débuta officiellement sa carrière dans le manoir de Central Park. Lors d’une séance privée, la tattooed lady dévoila sa peau bleutée pour la première fois.

Irène Woodward trônait dans un magnifique fauteuil en bois sculpté, avec toute la majesté d’une reine. La jeune femme de 19 ans soumit son corps au regard et à la curiosité des visiteurs. Cette séance dura trois longues heures. La belle Irène arborait une tenue de scène élégante et audacieuse. Le décolleté de son délicat corset en soie mettait en évidence l’encre bleutée de sa poitrine et de ses bras. Des bas transparents laissaient deviner subtilement les motifs complexes de ses tatouages sur ses jambes. Pour parfaire ce costume royal, la jolie brune aux yeux noisette portait une parure de perles nacrées autour du cou et du poignet.

Vue extérieure de la Harry F Sinclair House (au 2 East 79th Street), New York, vers 1975. Ancienne demeure d’Isaac D et Mary Fletcher. Photo par Edmund Vincent Gillon/Musée de la ville de New York. ©Getty Images

Une nudité inhabituelle

En raison du contexte historique, cette mise en avant du corps féminin était plutôt inhabituelle. Ainsi, le NY Times révélait : « Les visiteurs ont été autorisés à regarder la peau décorée de façon pittoresque sur la partie supérieure de la poitrine et du dos, les bras et la surface exposée des membres inférieurs. Miss Woodward a fait remarquer qu’elle se sentait un peu gênée d’être scrutée de cette façon, n’ayant jamais eu l’opportunité d’en faire autant, n’ayant jamais porté le costume en présence d’hommes. »

Vu les standards de l’époque, on aurait pu voir dans son corps dévêtu une provocation visuelle. Cependant, la belle Irène parvint à le transformer en captivante œuvre d’art. En 1883, le Memphis Daily Appeal décrit en ces termes : « Pour un observateur occasionnel, elle semblait plus habillée, mais en y regardant de plus près, ce qui ressemblait à un vêtement vaporeux s’avérait être des figures percées dans la chair. »

Irène Woodward, Photographe inconnu

Des tatouages traditionnels de marin

Après cette exhibition, la presse a longuement décrit les tatouages de la Tattooed Lady, les qualifiant de véritables chefs-d’œuvre. Les tatouages étaient réalisés au handpoke, une technique artisanale où l’on appliquait l’encre de Chine sous la peau, point par point, à l’aide d’un faisceau d’aiguilles. Son cou se parait d’une guirlande de fleurs survolée de jolis papillons colorés. Sur chaque arrondi de ses épaules, un coucher de soleil se déployait, parsemé de nombreuses étoiles. Elle portait une ruche sur son bras gauche, entourée d’un essaim d’abeilles. Deux banderoles : « Never Despair » (« Ne jamais désespérer ») et « Nothing without Labor » (« Rien sans labeur ») encerclait ce motif. Son bras droit, quant à lui, était plus patriotique, arborant l’aigle américain avec une devise romantique : « Je vis et je meurs pour ceux que j’aime ».

Ses origines étaient-elles irlandaises ? La harpe, ornée d’un trèfle, se dressait fièrement sur sa peau, entourée de motifs évoquant l’amitié, l’amour et la religion : des mains se liant, des symboles de la Foi et de la Charité, un marin quittant sa demeure, un Atlas, la déesse de l’Espoir, des anges, le retour du marin, une tête d’Amérindien et des motifs typiques du traditionnel américain.

Irène Woodward un récit tragique

Lors de cette exhibition, les visiteurs reçurent un livret : The Facts Relating to Miss Irene Woodward, the Only Tattooed Lady. Celui-ci révélait l’histoire tragique de la mystérieuse Irène. On y apprenait qu’elle était née à Dallas d’une mère inconnue. Dès l’âge de six ans, son père lui aurait tatoué une bannière ou des étoiles, selon les versions. En effet, il ne voulait pas la perdre lors de leurs différents périples jusqu’au Mexique.

En effet, ces pionniers exploraient les États-Unis à la recherche d’une ville florissante pour s’établir. Irène trouvait ce premier tatouage joli. Alors, elle aurait demandé à son père de l’encrer du cou aux talons durant les six années suivantes. Malheureusement, il aurait été victime d’une attaque mortelle de la tribu des Utes en 1879. Effrayés par les tatouages de la jeune femme, les membres de la tribu locale décidèrent de la relâcher.

The Facts Relating to Miss Irene Woodward, the Tattooed Lady

Une inspiration : Olive Oatman

L’histoire d’Irène Woodward s’inspirait librement du destin authentique d’Olive Oatman. Alors qu’elle traversait le désert en direction du Mexique avec sa famille mormone, la jeune Olive Oatman fut capturée par les Yavapais, probablement des Tolkepayas occidentaux. Après un an de captivité, ils la cédèrent aux Mohaves, chez qui elle fut accueillie comme l’une des leurs et tatouée au menton selon leurs traditions. Le récit de la captivité d’Irène Woodward sous le soleil de l’Ouest fascina le public. En effet, il mettait en scène des colons à la recherche de l’or et des attaques d’Indiens. C’était un écho à la récente histoire de la colonisation américaine.

En réalité, un manager confia au journal Evening Capital, le 25 février 1885 : « La première femme tatouée était Irene Woodward, qui était payée 60 dollars. Elle a été tatouée par un homme de New York nommé Hildebrandt [NDLR Martin, premier tatoueur de New York], qui a ensuite pris l’habitude de tatouer des femmes, y compris sa propre épouse, pour 250 dollars et en retenant un pourcentage sur son salaire. La femme de cet homme était connue sous le nom de Nora Hildebrandt. »

Brève publiée dans le New York dispatch, le 19 mars 1882

Irène Woodward, une tattooed lady populaire

Le 18 mars 1882, l’entrée en scène de la belle Irène dans le monde du divertissement populaire eut un effet systémique. Nous vivions les prémices du spectacle freakshow imaginé par Phineas Barnum, le prince des canulars. Depuis 6 ans, l’illustre Captain Costentenus collaborait avec le bonimenteur. Le noble Grec exhibait son corps au regard fantasque de la population. Pendant ce temps, Barnum contait les aventures exotiques et les tatouages forcés du Prince.

Costentenus exerça une influence déterminante dans la vocation de célèbres artistes tatoueurs et tatoués.es. Irène Woodward devint sa principale concurrente féminine. Le 19 mars 1882, le New York Dispatch écrivait : « Musée Bunnell. — La seule rivale du “Grec tatoué”, qui a fait sensation il y a quelque temps dans cette ville, est aujourd’hui Mlle Irene Woodward, qui est la seule femme au monde à avoir subi l’indignité barbare du “tatouage”. »

Bunnell Museum

Son œuvre connut un tel engouement que le public américain se précipita dans les musées de divertissement bon marché, désignés sous le nom de “dime museums”. Ainsi, l’américain voulait découvrir ces personnages excentriques et frissonner. Une semaine après les débuts de la Tattooed Lady, la dépêche de New York évoquait le succès du Musée de George Bunnell, protégé de Barnum : « L’activité de cette institution a été la plus importante jamais enregistrée en une semaine. Les étranges monstres de l’humanité qui y ont élu domicile s’avèrent suffisamment attrayants pour remplir le bâtiment au maximum de sa capacité. Irene Woodward, la femme tatouée, a été la vedette de la semaine dernière. »

La tattooed Lady dans les années 1880

La belle Irène fit une entrée remarquée dans les salons du manoir The Sinclair House. Elle captiva la presse, qui s’enthousiasma sans réserve devant cette créature tatouée. Les journalistes la louèrent pour sa beauté et sa modestie, saluèrent la finesse de son éducation, la délicatesse de sa conversation et son intelligence éclatante. Ils soulignèrent que la jeune femme était bien dans sa peau. Ainsi, elle se distingua rapidement par son assurance, éclipsant la carrière montante de Nora Hildebrandt. En effet, la femme du premier tatoueur new-yorkais fit sa première apparition en tant que Tattooed Lady au cours du même mois de mars 1882.

Sources :

New York Dispatch, le 19 mars 1882

Evening Bulletin, le 24 mars 1882

Dépêche de New York, le 26 mars 1882

Smyrna times, le 19 avril 1882

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Point Commun, exposition d’Aurélien Vallade

Aurélien Vallade, alias Joe Moo, expose au Théâtre de la ville d’Angoulême du 26 au septembre au 31 octobre.

Je vous ai présenté ses dessins incroyables sur les pratiques disparues du tatouage. Aurélien les présentera dans les caves du Théâtre durant plus d’un mois. Ne ratez pas une occasion unique d’admirer les dessins de cet artiste.

« À une époque où le tatouage évolue dans notre paysage quotidien avec une vigueur inédite, les dessins d’Aurélien nous invitent à une réflexion sur différentes cultures ayant utilisé cette pratique au fil de l’Histoire, et nous amènent à penser le tatouage comme un lien identitaire des cultures humaines. »

Horaires d’ouverture habituelsmardi, jeudi, vendredi de 13h à 18hmercredi de 10h à 12h et de 13h à 18hlundi, samedi, uniquement lorsqu’il y a une représentation, de 14h à 18hEt aussi : 1h avant le début de toutes les représentations

Téléphone : 05 45 38 61 61 / 62Site Internet : www.theatre-angouleme.orge-mail : infos@theatre-angouleme.orgThéâtre d’Angoulême, Scène nationaleAv. des Maréchaux, 16000 Angoulême

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