Mikaël de Poissy

Article publié dans Tatouage Magazine n°144

Fin des années 80, début 90, le tatouage appartient aux tribus urbaines : punks, skins, etc. Les tatoueurs de Paris et de sa banlieue se comptent sur les doigts d’une main. Trouver du matos en France est un vrai sacerdoce. Internet et son miroir aux alouettes n’existent pas encore. En 1993, « Mikael Tatouage » se lance dans le métier pour devenir, presque 20 ans plus tard, Mikaël de Poissy, un artiste à la technique aboutie et au style reconnu par la scène internationale.

Texte : Alexandra Bay – Photos : Mikael de Poissy, D.R.

Dans les 90’s, le tatouage reste l’apanage des marginaux en France, contrairement à l’Angleterre où il appartient à toutes les classes sociales. D’ailleurs, c’est à Londres que Mikael décide d’être tatoueur. À l’âge de 16 ans, il rencontre Dennis Cockell (@denniscockell) dans son studio à Soho. Le tatoueur des Stray Cats est une figure locale. Mikael l’observe à l’œuvre et tombe amoureux du métier. De retour en France, c’est une tout autre ambiance. Mikael se souvient d’un phénomène aux balbutiements : « En dehors des bandes, on avait très peu de gens tatoués, même dans le milieu du rap ! J’habitais dans une cité à Poissy et ça n’existait pas le tatouage ! Tu avais des groupes de punks ou de skins français partiellement tatoués. Les vrais portaient 5 à 6 motifs. »

À l’adolescence, Mikael est un loulou. Comme ses potes, il traîne chez Marcel. Installé depuis 1982, rue Legendre, le tatoueur encre les petites frappes de Paris et sa banlieue. Avec une forte personnalité, c’est un tenancier, la gouaille et la clope au bec ! Son shop fait 15 m2 et les murs sont tapissés de planches de flashs. C’est dans ce lieu incontournable que Mikael trouve sa voie, plutôt que sur les bancs de l’école. En échec scolaire, il s’inscrit en CAP de photographie. Il doit réaliser un reportage, mais on ne révèle pas les secrets de fabrication d’un art jalousement gardé : « Il ne fallait pas que les choses se voient. Les tatoueurs soudaient les aiguilles en cachette. Ils planquaient même leurs machines et dormaient presque avec ! Rires… Aussi, Marcel n’a pas voulu que je prenne de clichés. »

C’est dans cette ambiance de « mauvais garçons » que Mikael fait son premier tatouage en 1991. Il choisit un flash sur l’une des nombreuses planches accrochées aux murs du shop. Les tatoueurs collectionnent les catalogues de flashs avec des modèles qu’ils reproduisent à loisir. Mikael adopte une tête de mort avec un rat posé dessus. Lors de la séance, le tatoueur se déride, Mikael raconte : « Ça a biché entre lui et moi, c’était un vieux Parigot Marcel, il te tatouait la clope au bec. Finalement, c’est en me faisant tatouer et en discutant avec lui qu’on a vraiment sympathisé. » Cet échange convainc définitivement le Pisciacais que ce métier est fait pour lui.

Tournant décisif en 1992, il prend des cours de dessin dans une académie de peinture à Poissy. En vain, il cherche un apprentissage dans toute la région d’Ile-de-France. Mais le gamin ne se démonte pas. Il achète quelques planches à Dimitri HK et du matos chez Bruno « Jet France » en 1993. Son paternel est son premier client ! Le tatoueur raconte : « Mon père est venu dans ma chambre et m’a dit : « C’est parti, tu commences aujourd’hui. » J’ai préparé un dessin. C’était une tête de lion et de femme, côte à côte, de profils. Le tatouage était pourri. Ça ressemblait plus à une tarte aux pommes… rires… Je l’ai tatoué avec une seule aiguille. »  La technique, ça s’apprend et Mikaël expérimente durant une bonne année chez lui. Puis, il lance « Mikael Tatouage » et encre les gens de sa cité. Il recouvre les bousilles des rockers des années 50/60. Sitting Bull remplace Dean Vincent. Les grands classiques sont la tête d’Indien ou de loup, le dauphin, les îles, etc.

En 1993, Mikael écume les concerts de rock, de métal et de punk à la recherche de la clientèle. Ses copains Jean-Claude à Tours ou Nicolas à Josselin l’invitent dans leur bar. Il reste parfois 3 à 4 jours à tatouer sur place. Avec sa moto, il propose ses services dans les villages alentour, et même dans les camps de gitans ! Et c’est une sacrée aventure ! Comme cette fois où les manouches lui prêtent une vieille caravane occupée par un sanglier, pas vraiment content d’être réveillé par le tatoueur. Pendant plus d’un an, il roule sur les routes à la rencontre des tatoués.

En 1994, le jeune tatoueur Dimitri lui propose de bosser dans son shop, à Saint-Germain-en-Laye. C’est une excellente opportunité pour le tatoueur de participer à la convention de Nashville. Il s’y prend une sacrée claque. Une pétition y est même lancée pour la légalisation du tatouage à New-York, interdit en 1961. La « National Tattoo Association » occupe un building de 40 étages, dure 4 jours et compte plus de 4 000 participants ! Encore mineur, Mikael débarque aux US et croise ses artistes favoris comme Jack Rudy, Brian everett, Gill Montie, Kari Barba ou encore le tout jeune Paul booth. Le jeune Français observe la manière de travailler de la fine fleur US. Mikael revient gonflé à bloc avec du matos et de l’inspiration.

Cependant, il est appelé à servir sous les drapeaux français, un an et demi plus tard. En effet, l’État lui rappelle qu’il s’est engagé pour deux ans chez les commandos. Avant le tatouage, il se voyait bien dans la photographie du type reportage de guerre. La hiérarchie a vite vent de ses talents de tatoueur et il va encrer tous les gradés de la compagnie. Quelques mois plus tard, la grande muette le réforme pour avoir passé six mois le bras dans le plâtre après une opération de la main et plusieurs bagarres ! Le tatoueur coûte trop cher à la Défense. En 96, Mikael revient tatouer chez Dimitri. Puis, Pierre-Jean lui propose son local aux puces de Clignancourt, une opportunité qu’il accepte.

En février 96, le jeune tatoueur s’installe dans son premier « studio », une pièce de 9m2, sans point d’eau. Sur la façade, il accroche une belle plaque dorée avec écrit : « Mikael Tatouage, Tribal, Celtique, Asiatique, Recouvrement ». L’ambiance est austère, une ampoule et quelques posters aux murs. Il a quand même déniché un fauteuil de dentiste. Le tatoueur bosse la porte ouverte et tatoue derrière un comptoir. Les clients s’agglutinent et l’observent à l’œuvre. Mikael se souvient : « Il n’y avait pas d’eau, j’avais un thermos pour avoir mon gobelet d’eau. Bien sûr, tu n’avais pas d’A.R.S., l’agence régionale de santé ! Les encres étaient en poudre et il fallait les trouver ! » Le tatoueur s’approvisionne chez Neusky, en Bretagne.  

En avril 96, Mikael ouvre un deuxième shop au Puy-en-Velay. C’est le premier tatoueur du département de la Haute-Loire. À l’époque, on applique les règles de bienséance entre collègues, il révèle : « Avant d’ouvrir, j’ai pris ma 125 et je suis parti à Saint-Étienne pour prévenir Sharks. Il était à 75 km ! Il y avait encore ce respect-là d’aller voir le confrère, même s’il était dans un autre département. » Mikael travaille du samedi au lundi aux puces et le reste de la semaine au Puy-en-Velay. Il navigue entre les deux avec sa moto ou en train. Il transporte tout son matos dans un sac militaire de 20 kg. Pendant 3 ans, il alterne les ambiances, entre zone de non droit et tranquillité rasoir d’Auvergne.

Les Puces de Clignancourt, c’est une aventure, et il faut bien un voyou pour assumer ça ! Mikael se souvient : « J’arrive en plein mouvement des banlieues. Les mecs me ramènent des pitbulls endormis pour refaire le numéro sur leur oreille, car ils les ont volés. Ce sont encore des bandes qui se tapent sur la gueule. J’ai 21 ans et je prends ça comme une expérience de vie intéressante. » Le tatoueur reste à sa place, mais pas question de se laisser marcher sur les pieds. Il charge son flingue une ou deux fois, mais la solidarité entre commerçants permet de régler rapidement les embrouilles. Il a une clientèle de racailles et de rockers. Les deux ne font pas bon ménage. Trop lookés, les rockers se font dépouiller et péter la gueule avant d’arriver à son shop et même, en sortant de chez lui, juste devant son shop !

En février 96, les puces brûlent et ferment pour rénovation. Mikael reprend la route pour les bars et les concerts. En 97, il aménage dans un Clignancourt propret, mais les petites boutiques ont disparu et tout ce qui fait l’esprit « broc » du quartier. Heureusement, tatoueur est un métier en devenir, il ne manquera donc pas de clientèle. En 98, Marie-Jo proprio du shop de disques « Le silence de la rue » lui cède son local. Le tatoueur est ravi, car il double sa surface et recrute un perceur. C’est la grande mode du piercing. Mikael exerce 8 ans à Clignancourt. Il se réinstalle définitivement à Poissy en 2002 et vend les puces à Julien Fisherman Tattoo, en 2003.

Au début des années 2000, c’est l’explosion du style new school. Mikael gagne son premier prix en convention. À l’époque, exposer un prix dans son shop est un gage de professionnalisme. Le tatoueur devient une véritable bête à concours et ramasse plus de 100 coupes. Il gagne même un 1er prix tribal ! Mikael se remémore avec émotion sa première fois : « J’ai gagné le premier prix de la convention d’Honfleur. Je suis rentré chez moi, j’ai posé la coupe sur la table, comme si je ramenais un trésor à la maison ! J’étais fou ! »  Il conserve également un souvenir très ému de prix gagnés à Genève et à Pekin, avec des jurys de qualité dont Jack Rudy, une pointure ! C’est à cette époque qu’il encre de vieux tatoueurs et c’est un « putain de privilège », une vraie reconnaissance du métier.

Cependant, les années 2000 marquent aussi l’arrivée d’une nouvelle génération d’artistes. Le métier évolue vers la performance « artistique » et Internet signe un changement radical. Tout le monde peut acheter du matos et la notoriété sur les réseaux sociaux s’accélère. En 2006, Mikael veut arrêter le métier. Il se sent en décalage avec un milieu disparu qu’il a chéri. Soit il avance, soit il crève. Alors, il décide de partir à Montréal, chez Tattoo Mania. Il reprend les bases et la technique de A à Z, puis il se spécialise. Il met en avant son amour de l’histoire et du patrimoine. Avec une identité graphique affirmée, il devient Mikael de Poissy.

Pendant 3 à 4 ans, il encre des statues antiques en gris couleur. Puis, le style néo-trad ultra coloré émerge. Mikael a de nouveau le cul entre deux chaises. L’artiste se cherche encore et évolue pour survivre ! Il puise encore une fois son inspiration dans ses références en histoire et intègre du vitrail dans ses compositions. Et là, c’est une révélation ! Mikael travaille durant plus d’un an sur un triptyque de dos qui va le propulser sur la scène internationale ! L’artiste raconte : « J’ai été publié dans tous les magazines de tatouage. Je suis passé de 5 000 à 250 000 followers en un an ! Dans n’importe quel pays, ils avaient le triptyque en tête. Je suis devenu indissociable du style vitrail. » Le patrimoine français regorge d’œuvres incroyables et offre à Mikael une source intarissable d’inspiration.

À partir de 2004, Mikael voyage beaucoup et passe plusieurs mois par an à l’étranger. Il fréquente les conventions de N.Y., Tokyo ou Montréal ! Il est une figure incontournable de la scène du tatouage international. D’ailleurs, sa clientèle est mondiale. Il reçoit dans un atelier privé attenant à son shop. Mikael révèle un cadre de travail idéal : « J’accueille des gens qui viennent de loin. On peut manger ensemble et boire un café. Je prends 40 clients par an que je connais très bien. Je les tatoue entre 1 an à 10 ans. Je ne tatoue que des membres : bras, jambes, etc. même si je propose parfois de petits flashs lors d’une journée spéciale ! » Mikael se sent chanceux de pouvoir vivre de son art, en marge d’un milieu où de nombreux anciens ont disparu. Les tatoueurs des premières générations n’ont pas supporté les changements du métier et beaucoup se sont suicidés.

Avec son expérience, Mikael est devenu à son tour un mentor pour les jeunes artistes en devenir. Directeur de publication de Tatouage Magazine, il s’intéresse à la jeune garde et déclare : « Je me sens proche d’un jeune tatoueur lorsqu’il m’écrit, sait me parler, vient à moi et s’intéresse à des choses auxquelles la plupart des jeunes ne s’intéressent pas. Je respecte alors son travail. » D’ailleurs, le tatoueur sélectionne et propulse de jeunes artistes talentueux grâce aux publications du magazine. Il garde un œil averti sur la jeune relève. Passionné par l’histoire du tatouage, il transmet également son amour pour le tatouage français avec sa chaîne Youtube et son Instagram « The French Tattoo Museum ». Dans le dernier épisode, il a rendu hommage à Bruno, le pionnier des tatoueurs français, sans qui, rien n’aurait commencé en 1964.

Laisser un commentaire

Alexandra Bay

+++ Auteure de LOVE, TATTOOS & FAMILY, (ISBN : 2916753214) +++ Co-Fondatrice de FREE HANDS FANZINE +++ TATTOW STORIES +++