L’artiste tatoueur français Nicolas Gumo mêle avec une réelle facilité ses références en art moderne avec le graffiti et le tatouage noir & gris californien. Il mixe du cubisme épuré avec un réalisme maniéré pour affirmer une identité à la fois poétique et urbaine. Et le résultat est aussi efficace qu’une Punchline d’Oxmo ou d’Akhénaton, chanteurs, avec lesquels il a collaboré. De la rue à ses ateliers tattoo, de Paris à Valence, d’Époque Brutale à la Chambre Bleue, découvrez le trait unique de Gumo.
Interview : BAY, A. (2019). Gumo, Graphique : Interview, Tatouage Magazine Hors-Série Hiver 2019, 022‑024.
Miró, Picasso, Cocteau
Si le tatoueur français Nicolas Gumo est issu d’une école d’art, celle de l’ESAA Dupperé, il adhère tout autant à l’école de la rue. Banlieusard, il travaille durant douze ans auprès des gamins des « téci ». Le graff’ ou le hip-hop sont ses influences au même titre que Miró, ou Picasso. L’artiste se remémore : « J’ai eu la chance d’avoir des parents qui aimaient l’ART. Aussi loin que je me souvienne, j’ai été bercé avec Matisse, Miró, Picasso, Van Gogh, Cocteau et tous ces artistes qu’ils aimaient… Fin des années 90, j’ai découvert Basquiat à l’école. Son art m’a mis une grosse claque. Le graffiti parisien a parfait mon éducation artistique. En peinture, j’aimais ce côté art brut et naïf. »
« À l’époque je faisais beaucoup de one line, mais quand tu le fais au spray ça a du sens, car tu n’as pas à lever la main. Avec le dermographe, je ne retrouvais pas le même plaisir de le faire. »
Gumo
Entre l’univers urbain et l’art contemporain, Gumo affine une patte singulière à la fois poétique et brutale. Il se souvient : « La vague d’art brut et “ignorant” de Fuzi sur les métros m’a beaucoup inspirée. En France, en 2010, je ne voyais pas de tatoueurs avec un univers “cubiste” mis à part Bugs. […] Fuzi m’a inspiré dans sa démarche “artistique”. Lorsqu’il m’a tatoué, il m’a dit : “Je ne vais pas faire du polynésien ou du traditionnel américain, car ce n’est pas ma culture.” Au moins, il a eu l’honnêteté de se dire, on est des mecs, on a grandi à Paris, on a fait du graffiti, alors pourquoi on ne ferait pas la même chose en tattoo sur la peau. » Gumo est un amoureux de Paris et sa banlieue. Ainsi, l’imagerie d’un certain « esprit Parisien » est une grande part de son identité artistique.
Des conseils avisés
Sur les murs, Gumo exprime son art en one line, un graffiti jeté en « une ligne » sur le béton. C’est cette patte particulière qu’il va expérimenter et ainsi, développer « son propre style ». Après une expo à New York, un client lui demande un tatouage et ça tombe bien, l’artiste a soif de découvrir un nouveau médium. Vers 2013, il fait ses premiers pas dans l’antre obscur de l’encre. Il passe ses matinées auprès de Christophe du shop All Tattoo.
Le jeune padawan garde en tête le dernier conseil de Christophe « Si tu veux exister dans ce milieu, trouve un truc à toi, que personne d’autre ne fait. » Et ça tombe bien, son truc à lui, c’est le « one line ».
Il évoque son initiation : « Au lieu d’un apprentissage traditionnel, il m’a simplement proposé de venir quand je voulais au studio. J’y suis allé́ chaque jour avant de travailler. Dès que je pouvais, je le regardais bosser, j’écoutais et je posais mes questions. J’ai recueilli tous ses précieux conseils autant sur la pratique que sur l’attitude à adopter. Un an plus tard, j’ai commencé́ à tatouer. » Sur la peau, Gumo a le luxe d’encrer son identité graphique, dès ses débuts. Le jeune padawan garde en tête le dernier conseil de Christophe « Si tu veux exister dans ce milieu, trouve un truc à toi, que personne d’autre ne fait. » Et ça tombe bien, son truc à lui, c’est le one line.
One line et cubisme
Avec ses influences, le tatoueur reprend le concept et le recrache en mode cubiste : « À l’époque je faisais beaucoup de one line, mais quand tu le fais au spray ça a du sens, car tu n’as pas à lever la main. Avec le dermographe, je ne retrouvais pas le même plaisir à le faire. Un jour, j’étais au boulot, au téléphone, je gribouillais l’un de mes dessins machinalement. J’ai dessiné dans un style plus géométrique.
À Orléans, Gumo participe à un event tattoo dans le shop de sneakers de potes. Il propose ses premiers motifs cubistes et c’est un réel succès !
L’esprit ailleurs, Nico griffonne et trouve le fil ! Il se souvient : « Comme j’aimais déjà beaucoup le cubisme, j’ai fait le pont entre les conseils techniques que j’avais pu obtenir en tattoo et mes propres goûts. Car c’est beaucoup plus simple de tatouer une ligne droite qu’une ligne courbe. À partir de là, j’ai déconstruit tous mes dessins en les géométrisant pour les rendre tatouables. » À Orléans, Gumo participe à un event tattoo dans le shop de sneakers de potes. Il propose ses premiers motifs cubistes et c’est un réel succès !
De Sang Bleu à Shamrock Social Club
Issu de l’école graffiti, Gumo rejoint le collectif Tattoo Research Lab fondé par Tony Tacchini, où se côtoie la jeune garde française du tatouage avec les artistes, désormais reconnus, Nowe, Sixo Santos, Vincent Denis, Paolo Bosson… Les jeunes artistes insufflent une dynamique artistique très créative et se serrent les coudes.
Maxime Büchi qui lui propose de venir en guest chez « Sang Bleu », la référence du tatouage moderne à Zurich et Londres, rien que ça !
« On a fait deux, trois évènements expo/tattoo à Lyon et Paris. Puis, on s’est inscrit dans des conventions dont la première à Montpellier. Après un an de guests en plus de mon boulot, j’ai rejoint Faustink au Phylactère à Paris, pour une belle aventure de trois années conclue en 2018. » Le style de Gumo plaît et tout va très vite, crescendo ! Il rencontre Maxime Büchi qui lui propose de venir en guest chez « Sang Bleu », la référence du « tatouage moderne » à Zurich et Londres, rien que ça !
Ancienne VS jeune génération
Nicolas Gumo se sent vraiment chanceux de vivre de son art. Il confie à ce sujet : « C’est l’époque où tous les styles contemporains explosaient comme Bouits, Sixo, etc. Je ne suis pas sûr que trois ou quatre ans après, j’aurais eu le même succès. C’était l’époque où les tatoueurs de l’ancienne école n’avaient pas encore fait la guerre aux tatoueurs de l’ignorant style. Je pense qu’on peut prendre le meilleur des deux côtés.
Et Gumo respecte ses anciens, avide de leurs conseils ! L’un de ses mentors dans le tatouage black & grey à la sauce californienne le suit depuis ses débuts, le célèbre tatoueur de L.A. Mark Mahoney.
Les plus jeunes doivent apprendre les codes traditionnels et les plus anciens doivent profiter de la fraîcheur créative de cette jeunesse ». Et Gumo respecte ses anciens, avide de leurs conseils ! L’un de ses mentors dans le tatouage black & grey à la sauce californienne le suit depuis ses débuts, le célèbre tatoueur de L.A. Mark Mahoney. En 2018, ce dernier l’invite en guest dans son shop le Shamrock Social Club dans la ville des anges et c’est une vraie reconnaissance.
Confrontation esthétique
Artiste avant tout, Nicolas Gumo aime le changement et il est passé du cubisme au réalisme ! Il aime la confrontation esthétique entre traditionnel et art moderne. Et cette inspiration lui vient du tatoueur américain Scott Campbell, ce qu’il confirme : « Il est l’une de mes références en tant qu’artiste. Il mixe le contemporain et le trad, un dessin brut et plus léger. Cette confrontation esthétique dans son travail m’intéresse beaucoup. Dans cet esprit, j’avais envie de mixer art brut et tatouage plus esthétisant, plus détaillé.«
J’aime mélanger mon background d’école d’art avec celle du tatouage, pour que ça raconte quelque chose.
Gumo
Il poursuit au sujet de cette nouvelle voie : « J’ai commencé à intégrer un élément réaliste dans mes tatouages. Comme les tatouages de Keith Harring que j’ai encrés, ça fonctionne bien. J’avais envie de mixer le côté pop culture avec des motifs plus traditionnels, comme le Sacré-Cœur ou le papillon en fine ligne très classique de l’école californienne tels que Jack Rudy, Mark Mahoney, etc… J’aime mélanger mon background d’école d’art avec celle du tatouage, pour que ça raconte quelque chose. «
Inspiration Black & Grey
Cette opposition, Gumo en joue avec audace. Il associe le réalisme black & grey façon fineline avec du cubisme à la ligne épaisse, et ce, dans le même motif de tatouage. L’artiste explique : « J’évolue et j’expérimente. Il y a quelques années, je n’aurais pas osé faire du réalisme fin par manque de technique et de pratique. J’ai appris et observé durant mes guests. »
Il retranscrit en réalisme la partie la plus texturée de son motif sur un animal, un objet ou un portrait, et il l’oppose au one line, selon la dynamique des lignes.
Il évoque l’un de ses mentors : « Mark Mahoney est, je pense, l’un des fondateurs de ce style fin black & grey très Californien. Avant même de tatouer, je savais que je voulais l’inscrire au milieu de ce bordel qui constitue mon travail. C’est comme un élément “classique”, un point d’ancrage en hommage à cette époque et ce style de tattoo. » Gumo réfléchit ses motifs pour rendre son concept visuellement efficace. Il retranscrit en réalisme la partie la plus texturée de son motif sur un animal, un objet ou un portrait, et il l’oppose au one line selon la dynamique des lignes. Son crocodile en est un parfait exemple ! Et ça fonctionne !
Mouvement perpétuel
Adepte du mouvement perpétuel, Gumo est un amoureux du japonais. Et comme tout bon artiste tatoueur qui se respecte, savoir encrer un style traditionnel, c’est revenir aux bases. Finalement, c’est ça l’esprit de la vieille école. Le japoniste est encore en phase d’étude, comme il le confie : « Ça fait 2/3 ans que je bosse en secret et sur commande. J’essaie de combiner le Japonais avec mon style. Je n’arrive pas à trouver le bon mélange. »
J’idolâtre le japonais et je trouve que c’est le style de tatouage le plus abouti. Quand je l’encre, je trouve que je ne lui rends pas suffisamment justice.
Gumo
Exigeant et pragmatique, Gumo a besoin d’expérimenter pour comprendre et maîtriser. Et face à la vague d’Hokusai, il faut s’armer de patience pour s’immerger dans cette culture si complexe. Le tatoueur poursuit : « J’idolâtre le japonais et je trouve que c’est le style de tatouage le plus abouti. Quand je l’encre, je trouve que je ne lui rends pas suffisamment justice. J’expérimente encore pour être honnête, et je n’arrive pas encore à trouver comment l’intégrer à mon travail. Je veux partir là-bas pour m’immerger. »
Projet à venir ?
Aussi, son prochain projet est de partir au Japon. Il espère intégrer un shop pour observer et comprendre la manière de travailler des tatoueurs japonais. Gumo enchaîne : « La première fois que je suis allé en Californie, le fait que Mark Mahoney me valide alors qu’il est mon icône et mon mentor ; je me suis senti plus légitime de faire du Californien en rentrant en France. Le Japon est une culture que j’affectionne.
Je me dis que, si j’arrive à tatouer là-bas, je vais peut-être percevoir ce qu’ils font différemment et comprendre leurs codes. Avant tout, j’ai envie d’atteindre un niveau de perfection plus élevé avant de présenter mon travail. J’espère que ce voyage me permettra de réussir à composer. Il y a un travail de texture, de dynamique, qui demande beaucoup d’investissement, mais je n’ai pas de deadline ! »
Site : www.nicolasgumo.com
Instagram : @ugly_kid_gumo
Email : gumotattoos@gmail.com














