Terre sainte, Jérusalem est un lieu de pèlerinage important. Jésus Christ a vécu et est mort dans la vieille ville. Au moyen âge, les chrétiens accomplissent ce long voyage uniquement sur autorisation de l’évêque. Aboutissement d’une quête intérieure, les pèlerins prennent l’habitude de se faire tatouer un signe religieux sur le bras. Le tatouage chrétien remonte à plus de mille ans. Plus qu’un simple souvenir, la souffrance du tatouage symbolise aussi celle du Christ sur la croix. Retour sur une tradition millénaire.
Texte : Alexandra Bay – Article publié dans Tatouage Magazine
Depuis plus de 1000 ans, les chrétiens se font tatouer lors de leur pèlerinage en Terre sainte, à Jérusalem. Au moyen âge, il n’est pas simple de partir pour cette quête spirituelle. En effet, le chrétien doit obtenir l’approbation de ses proches et surtout de l’évêque. L’église mène une enquête sur les mœurs et la vie de l’aspirant pèlerin. Puis, elle examine sa demande. Si l’évêque lui donne son autorisation, il lui remet le bourdon (bâton) et la panetière (besace) à l’issue de la messe. Il lui accorde aussi sa bénédiction. Ainsi, il recommande le voyageur pèlerin aux monastères, aux prêtres et aux fidèles. Ces derniers l’accueilleront le temps d’une nuit ou pour manger. Les chevaliers de l’ordre ont même pour obligation de le protéger s’il se retrouve en difficulté.
Au début du moyen âge, le pèlerinage représente un voyage religieux initiatique très important. Aussi, les pèlerins et les chevaliers de l’ordre des Templiers ou du Saint-Sépulcre souhaitent se marquer sur la peau un souvenir de cette étape. On dit que les chevaliers de l’ordre des Templiers se font tatouer une croix sur le torse. S’ils meurent au combat, c’est l’assurance de bénéficier d’une sépulture religieuse.
D’après Aleteia.org, les premiers chrétiens tatoués sont nés en terre sainte au VIe siècle. À cette époque, le Procope de Gaza, maître de rhétorique, observe de nombreux chrétiens tatoués sur le poignet ou sur le bras du signe de la croix ou du nom du Christ. Le tatouage chrétien affirme l’identité religieuse.
Les textes saints
Le tatouage des pèlerins demeure une pratique religieuse ancienne. Cependant, elle a régulièrement été l’objet de désaccord au sein de l’église ou du moins de ses représentants. Du point de vue des textes saints, sa légitimité reste une question d’interprétation. Ainsi en 325, le christianisme devient la religion officielle de l’Empire romain et l’empereur Constantine 1er interdit le tatouage aux soldats. En effet, ils défigurent ce qui a été fait à l’image de Dieu. Ce que confirme le lévitique, chapitre 19, verset 28 : « Ne tailladez point votre chair à cause d’un mort, et ne vous imprimez point de tatouage : je suis l’éternel. »
Par contre, si on lit ce passage d’Ezéchiel 9, 4-6, c’est même Dieu qui tatoue ses fidèles : « Parcours toute la ville de Jérusalem ; tu traceras une marque sur le front de tous ceux qui se lamentent […] Suivez cet homme à travers la ville et tuez les habitants. […] Mais ne touchez à aucun de ceux qui portent une marque sur le front. » La marque protège le croyant et permet aussi de convertir efficacement.
En effet, dans « I Tatuaggi di Gerusalemme », Alessandra Borroni évoque la légende des chrétiens de Northumbrie, un royaume médiéval situé dans le nord de l’Angleterre et le sud de l’Écosse. Le tatouage est considéré comme une pratique de barbares, car les sauvages se font encrer des symboles dédiés aux dieux païens. Par un miracle divin, Sainte Brigitte d’Irlande transforme tous ces tatouages en signes sacrés pour les protéger. Les tatouages liés aux cultes païens sont interdits, alors que ceux qui honorent Dieu sont accueillis avec bienveillance.
Cependant, les autorités ecclésiastiques n’ont jamais encouragé le tatouage, car elles savaient qu’il était formellement interdit par l’Ancien Testament, voir le lévitique chapitre 19, verset 28 (cité ci-dessus). Elles ont toléré la pratique. Ce sont même les franciscains de la custodie (territoire d’activité des franciscains qui regroupe couvents et institutions de l’ordre) de terre sainte qui pratiquaient le marquage. L’ambivalence des textes religieux n’a pas permis aux autorités religieuses de trancher définitivement.Concluons avec une jolie phrase du cantique des cantiques 8,6 : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. »
Tatoueurs du XVIIe siècle
D’après le magazine Histoire, au XVIe et XVIIe siècle, les tatoueurs sont des drogmans franciscains (interprètes). Ils sont issus de la custodie (territoire d’activité des franciscains qui regroupe couvents et institutions de l’ordre) de terre sainte. Dans son récit de voyage à Bethléem, au 17e siècle, le flamand Cornelius de Bruyn (graveur, peintre, voyageur et écrivain) observe un drogman à l’œuvre :
« Avant de quitter Bethléem, il faut que je dise comment on se fait imprimer ici sur le bras les marques que l’on a fait le voyage de Jérusalem. Ils ont pour cela plusieurs formes de différentes façons, desquelles chacun choisit celle qui lui plaît davantage. Ce sont d’ordinaire les drogmans qui font cela et qui gardent aussi ces formes. Quand on a choisi celle qui agrée le plus, on met dessus un charbon qu’on a pilé, ensuite de quoi, on applique la forme sur le bras, de sorte que les traits où est entrée cette poudre de charbon se peuvent voir distinctement.
Après cela, celui qui doit imprimer la marque vous prend le bras de sa main gauche, et en tient la peau étendue bien ferme, pendant que, de sa main droite, il tient deux aiguilles attachées ensemble et enveloppées de laine, avec lesquelles il pique dans les lignes marquées le plus également qu’il lui est possible, afin que la trace en soit mieux marquée, et quoiqu’il enfonce assez avant, le sang n’en sort pas. Mais je crois que la petitesse des trous, que l’on peut à peine apercevoir en est la cause.
Après cela, on frotte cet endroit du bras avec une espèce d’encre, qui dans l’espace de vingt-quatre heures qu’on l’y laisse avec le linge dont on l’a enveloppé, pénètre tellement que les lignes où l’on a fait les petits points d’aiguille, paraissent noires ou bleuâtres, mais si bien faites qu’on dirait qu’elles sont peintes, et cette couleur demeure toujours aussi belle, tout le temps que la personne vit. »
Après cela, on frotte cet endroit du bras avec une espèce d’encre, qui dans l’espace de vingt-quatre heures qu’on l’y laisse avec le linge dont on l’a enveloppé, pénètre tellement que les lignes où l’on a fait les petits points d’aiguille, paraissent noires ou bleuâtres, mais si bien faites qu’on dirait qu’elles sont peintes, et cette couleur demeure toujours aussi belle, tout le temps que la personne vit. »
Tatoueurs chrétiens coptes, la Famille Razzouk
À Jérusalem, les drogmans franciscains ne sont pas seuls à apposer le sceau de Jérusalem sur le bras des pèlerins. Les chrétiens coptes encrent aussi les peaux des religieux. L’une des plus anciennes familles de tatoueurs de Jérusalem est la famille Razzouk. Les ancêtres de Wassim, actuel tatoueur de la boutique, commencent à tatouer en Égypte copte, il y a 700 ans.
Après la conquête musulmane, ils tatouent des croix aux chrétiens pour les identifier. En effet, l’État collecte des impôts auprès des communautés chrétiennes. Puis ses ancêtres migrent en Palestine, il y a 450 ans. Ils s’intègrent aux tatoueurs déjà présents. Yacoub, grand-père de Wassim, travaille comme charpentier et tatoue en complément. En effet, le tatouage local ne coute pas très cher et le pèlerinage est saisonnier.
Entre 1920 et 1948, la Palestine est sous mandat britannique. C’est une aubaine pour Yacoub. De nombreux Britanniques et Australiens sont en stationnement. Adeptes de tatouage, ils vont régulièrement passer sous ses aiguilles. Grâce à l’argent gagné, il ouvre un salon de tatouage dans le quartier de Mamilla, à Jérusalem Ouest.
Cependant, en 1948, la famille Razzouk doit fuir en Cisjordanie. Yacoub se retrouve alors à tatouer des soldats chrétiens irakiens. Après les ravages de la guerre, de nombreux salons de tatouage ont été détruits. Lors de son retour en Palestine, Yacoub se réinstalle dans la maison familiale. Il est le dernier tatoueur palestinien religieux, à Jérusalem Est.
Tatoueur depuis 2009, Wassim a repris le flambeau en ouvrant un salon de tatouage dans la vieille ville en 2016. Il a tenté de reproduire le salon de son père, à l’identique. Il utilise les mêmes sceaux familiaux qui permettent de tracer le dessin sur la peau : la résurrection du Christ, la Crucifixion, la Croix de Jérusalem ou de Saint George, etc. Ce précieux héritage date du XVIIIe siècle
Dans « I Tatuaggi di Gerusalemme – tradizione e disegni », Alessandra Borroni donne la signification de nombreux symboles pieux
La résurrection du Christ, la crucifixion, la croix de Jérusalem, etc.. Les motifs tatoués par la famille Razzouk portent un sens profond pour les pèlerins. Cependant, ces dessins ne sont pas forcément simples à comprendre pour une personne étrangère aux religions. Dans « I Tatuaggi di Gerusalemme – tradizione e disegni », Alessandra Borroni donne la signification de nombreux symboles pieux, dont nous vous retranscrivons une infime partie ici.
La Croix de Jérusalem :
Le symbole par excellence du pèlerinage en terre sainte. C’est une fusion de symboles qui représente Bethléem et Jérusalem. Il est composé d’une partie supérieure dédiée à Bethléem avec l’étoile indiquant l’annonce de la Nativité et les trois couronnes des Mages, au centre se trouve la croix de Jérusalem, dans la partie inférieure deux branches d’olivier symbolisent la victoire du Christ à sa mort, le tout est fermé par l’inscription « Jérusalem ». Ce motif imprimé sur la peau témoignait que le pèlerin avait touché les lieux saints de Jésus.
L’épée :
L’épée qui est généralement attribuée à des épisodes de violence avec Jésus perd tout son sens destructeur. L’épée de Jésus est la parole de Dieu : « Ne crois pas que je sois venu apporter la paix, mais l’épée » (Mt. 10:34). Saint Paul de Tarse est souvent représenté, ainsi qu’avec un rouleau (ou un livre), une pelle à la main, ses deux attributs représentant la parole de Dieu. Parfois, le cimeterre est attribué à San Giorgio, car il vient de la Cappadoce.
Lion de Juda :
Dans le livre de la Genèse (49:9), Jacob sur son lit de mort bénit son fils Juda en le décrivant comme un lionceau. Pour la tradition chrétienne, le lion de Juda représente Jésus, l’agneau qui après le le sacrifice devient lion. Le lion noir est très similaire aux deux gravés à la porte des lions de Jérusalem. Pour les chrétiens cette porte marque le début du chemin douloureux, le chemin que Jésus a suivi de la prison au lieu de la crucifixion. Pour les Coptes éthiopiens, le lion de Juda représente l’empereur. C’est l’un des symboles qu’ils sollicitent le plus. Les deux lions face à face représentent généralement les gardiens.
Sources :
middleeasteye.net : la-croix-tatouee-sur-la-peau-la-tradition-chretienne-perdure-jerusalem aleteia.org : ces-tatouages-de-jerusalem-ont-700-ans Articles : « Comme un sceau sur ton bras », de Marie-Armelle Beaulieu, Magazine Histoire
Livres :
« I Tatuaggi di Gerusalemme – Tradizione e disegni », d’Alessandra Borroni, Editions Albero Niro editore