Depuis l’antiquité, les berbères pratiquent l’art de l’encre à des fins mystiques, prophylactiques et esthétiques. Ce peuple de nomades appelé Imazighen ou hommes libres est issu des pays d’Afrique du Nord. Aussi, la pratique du tatouage s’est métissée de nombreuses influences issues d’Algérie, d’Égypte, du Maroc ou de la Tunisie, pour les tribus les plus répandues.
Texte : @Alexandra Bay
« Se faire tatouer, c’est porter atteinte à la créature de Dieu qui est parfaite, c’est agir selon la volonté de Satan » disait le docteur A. Kocher dans son étude « La criminalité chez les arabes », en 1884. Longtemps, le « ticheret » – ou « tatouage » en ancien dialecte berbère – a été associé à la sorcellerie et donc, au diable. C’était l’encre des Imazighen, les « hommes libres » (amazigh au singulier). On les appelait plus communément « berbères ». C’étaient les autochtones des pays d’Afrique du Nord comme l’Algérie, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie, etc. pour les tribus les plus répandues. Ce peuple de nomades a abandonné le rituel de l’encre durant l’islamisation de leurs terres.
En effet, l’islam a proscrit la pratique du tatouage, car l’encre sous la peau empêche des ablutions correctes et donc, attire la malédiction divine. Le ticheret était une pratique tribale très populaire avec une symbolique à la fois identitaire/sociale, ornementale et magique. D’ailleurs, il existe une variété incroyablement riche de motifs à la fois simples et complexes, à base de points, de lignes droites, de parallèles torsadées, de formes géométriques, plus rarement de formes animales ou végétales, etc. Ces motifs sont aussi variés que les origines de nos tribus berbères. Il serait donc difficile d’énumérer dans un seul article toutes les subtilités de cet art multiculturel. Cependant, certaines coutumes étaient relativement communes aux différentes tribus.
Éloigner le mauvais œil
Dès la fin de l’enfance, les fillettes de 12 ans recevaient leur premier tatouage prophylactique sur le front appelé « el ayacha », le porte-bonheur. Cette amulette magique les immunisait contre le mauvais œil. Le tatouage prophylactique (qui prévient la maladie) protégeait l’être humain des différents maux ou maladies virales et psychologiques. On dit que les femmes berbères se faisaient tatouer le cou pour se préserver du goitre disgracieux ou les poignets pour se protéger des foulures. Dans certaines tribus, elles se faisaient encrer un point au-dessus du menton ou du côté droit du nez pour ne pas souffrir de maux de dents.
Dans son étude sur le tatouage marocain, le docteur français J. Herber mentionnait : « D’après une femme Zaer, le tatouage du menton aurait été autorisé par Lalla Fatima ez-Zohra, une Sainte qui occupait dans sa pensée, une place voisine des santons locaux. » Les croyances des premiers Berbères relevaient plutôt de cultes « païens », notamment avec un dieu du soleil et de la lune. Ainsi, le motif de « palmier » tatoué sur leur front évoquait la déesse mère. Ce motif puiserait même ses origines dans la tradition égyptienne. Le tatouage berbère telle une écriture mystérieuse a conservé toute la portée spirituelle magique et totémique de cet héritage ancestral.
Beauté de l’ornemental
Lors de la puberté, les jeunes filles se faisaient tatouer sur le menton. Cet acte était plutôt un rituel de passage du statut d’enfant à adolescente. Certaines tribus encraient un tatouage sur les genoux pour préserver la chasteté de leurs jeunes filles. Lorsqu’elles se mariaient, le tatouage était transformé en un nouveau motif plus ornemental, décoratif. Le tatouage révélait alors toute la beauté des femmes. Certains attribuaient même une portée érotique à ces dessins bleutés sur la peau. Les tatouages ornementaux étaient portés sur différentes parties du corps.
Dans son livre « Le tatouage », William Caruchet précise : « Sur le visage, les femmes se font tatouer au milieu du front la siyala, connue des temps pré-islamiques. C’est une stylisation du palmier. Le tatouage du menton est aussi fréquent. […] Peu répandus en Algérie, les tatouages des jambes le sont au Maroc chez les femmes et en Tunisie pour les deux sexes. Près de Sousse, ce sont de véritables « chaussettes » qu’on tatoue. Généralement, les tatouages de la région pubienne, du ventre ou des reins sont réservés aux prostituées. » Durant la maternité, la femme ajoutait de nouveaux tatouages prophylactiques, pour se « défendre contre les forces occultes (mauvais oeil, jinn, et tâbi’a) qui la rendraient stérile et ferait périr ses enfants. Ainsi, l’évolution du tatouage marocain démontre une fois de plus que la magie peut être une des sources de l’art. » conclue le Dr. Herber.
L’ensorceleuse
Au sein de la communauté, les tatoueuses berbères assumaient une fonction équivalente à celle du « shaman ». Ainsi, le docteur Herber évoque le pouvoir de l’ensorceleuse : « L’une d’elles, de la tribu des Ahmar, me fut un jour présentée par Sidi bou Médiane, le compagnon bien connu des voyages d’E. Doutté. « Nous sommes toutes tatoueuses de mère en fille, disait-elle… — Mais il y en a une qui a commencé, lui objecta l’astucieux interprète, et celle-là, de qui tenait-elle son talent ? — D’un cheikh. — Et de quel cheikh ? » La réponse se fit attendre, mais enfin elle nous la donna : « Mets que ce soit de Satan. » Le mot était prononcé. À l’origine du tatouage est une force occulte qui dirige la main de la tatoueuse »
Il ajoute que l’aspirante tatoueuse devait se rendre sur le tombeau du Saint. Alors, tout un cérémonial se mettait en place. Elle apportait une offrande, brûlait des cierges et passait la nuit près du Saint. Si elle le méritait vraiment, il lui remettait en rêve l’aiguille qu’elle pourrait utiliser pour devenir une tatoueuse accomplie. Cela voulait dire qu’elle avait été choisie.
Le sang coule, le malheur passe
L’acte du tatouage aussi possédait son petit cérémonial. Lorsque la tatoueuse piquait la peau avec une aiguille et que le sang en coulait, elle psalmodiait le proverbe suivant : « Quand le sang a coulé, le malheur est passé. » La malédiction était éloignée. Soit elle entaillait la peau du motif choisi et frottait la plaie avec du charbon. Soit elle traçait le motif avec une teinture et piquait avec une aiguille en suivant la ligne.
William Caruchet explique ainsi : « Dès que le sang perle, on fait pénétrer dans la blessure, par friction, de l’antimoine pulvérisé et, enfin, un jus végétal – feuilles de pastèque ou d’orge – dont la couleur renforce la tonalité du colorant. Les plus pauvres remplacent l’antimoine par du noir de fumée. On peut aussi utiliser une lancette aiguisée en biseau ou un rasoir. Le dessin obtenu est alors non plus tatoué, mais scarifié. D’une manière générale, le tatouage est réservé aux […] » « tatouage est réservé aux femmes tatoueuses, et les scarifications aux hommes. »
La mode du berbère
Population nomade, les berbères ont perpétué ce rituel durant des millénaires. Cependant, la tradition du tatouage s’est déclinée dans les années 30/40. Le docteur Herber notait déjà au début du 20e siècle : « L’Islam pourrait mettre un terme à ces variations, mais il n’a guère d’action que dans les milieux cultivés et en particulier, dans les villes où le tatouage tend manifestement à disparaître. » Disparue, pas tout à fait ! Heureusement, de nombreux écrits ont permis de conserver les subtilités de cette tradition et la signification des symboliques.
Des écrits scientifiques, mais aussi des ouvrages plus personnels, comme le magnifique livre « Berber Tattooing ». Ainsi, les artistes Félix et Loretta Leu ont effectué un road trip en famille au Maroc. Leur fille Aia a croqué avec justesse le portrait de berbères tatouées et reproduit les symboles. À l’appui, un texte brosse le portrait de ces femmes. Depuis quelques années, le tatouage berbère est très à la mode. Certaines femmes se l’approprient uniquement par esthétisme tandis que d’autres le font en quête d’identité. Ainsi, ces jeunes femmes se réapproprient le langage encré de leurs « arrière-arrière-grand-mères », avec tendresse et nostalgie.