Dans cet article, je dresse le panorama culturel d’une pratique du tatouage dans un pays, cette fois-ci, le Japon. Je vous propose de découvrir les débuts de l’Irezumi. Plus communément appelé horimono, ce tatouage raffiné prend pourtant racine dans la coutume tribale des autochtones, avant de devenir l’Irezumi-kei, la marque punitive du criminelle.
Un art préhistorique
La tradition raffinée de l’Irezumi puiserait ses origines dans le Japon préhistorique. Dès l’ère Jōmon, entre 14 000 et 300 av. J.-C., les peuples indigènes de l’archipel arboraient des tatouages sur le corps qui différaient selon les clans et servaient notamment d’identification tribale. On observe une représentation graphique de ces marques sur deux types de poterie, les haniwa et les dogū. Les haniwa incarnaient le haut rang des défunts : chef de village, aristocrate ou militaire gradé.
Ce sont des personnages en terre cuite qui étaient déposés sur le tertre funéraire, au-dessus des sépultures. Certaines silhouettes arborent des formes colorées en rouge ainsi que des lignes (voir photo). Tandis que les statuettes dogū, utilisées lors de rituels de protection contre les maladies et autres dangers, portent également des tatouages géométriques complexes. Ces céramiques sont les artefacts les plus anciens et les preuves d’une coutume ancestrale japonaise.
Des lignes sur le visage
Durant l’ère Yayoi, entre 400 av. J.-C. et 250 apr. J.-C., les populations autochtones perpétuèrent l’usage du tatouage. Au 3e siècle, l’historien chinois Tch’en Cheou fut missionné par la dynastie Jin pour découvrir de nouveaux territoires. Dans son récit « Chroniques des Trois Royaumes », il décrivit l’apparence des indigènes qu’il nomma Wa : « Les hommes, grands ou petits, ont tous le visage et le corps tatoués (…). Pour les Wa qui vivent près de l’eau et qui aiment s’y plonger pour pêcher des poissons et d’autres bestioles, ils se tatouaient le corps afin de se protéger des gros poissons et de tous les animaux aquatiques. Par la suite, cela est devenu décoratif. Les tatouages sont différents selon les royaumes. Ils se font soit à droite, soit à gauche. Ils sont de grande ou de petite taille. Ils sont différents selon le rang des individus. » D’après le blog Archeojapon, la lecture de cette description anthropologique aurait encouragé les chercheurs à approfondir leur étude des poteries Jōmon. Ces dernières permirent d’établir une cartographie [voir photo] précise des marques portées par les populations de l’archipel en fonction des époques. Ce sont essentiellement des lignes sur le visage.
Un art autochtone
Durant la période Yayoi (300 av. J.-C. — 300 apr. J.-C.), le rite tribal du tatouage aurait progressivement disparu avec les migrations de Corée. Ces nouveaux résidents s’intégrèrent à la population Jōmon leur apportant des savoirs ’innovants, notamment avec le travail du métal. C’est de cette alliance que serait provenu le peuple japonais moderne. Seuls les autochtones, comme les Emishi et les Hayato, continuèrent à se décorer le corps. En effet, les critères de beauté féminine évoluèrent. D’après Yamamoto Yoshimi, les vêtements et les parfums remplacèrent les attraits de l’ornement corporel. Au nord-est de l’archipel, sur l’île d’Ezo qui signifie le pays des barbares en japonais, la plupart des clans Emishi étaient hostiles à l’empire japonais naissant, le Yamato. Ces animistes vivaient de la chasse et de la riziculture. Ils seraient les aïeux des Aïnous qui incarnent la survivance d’une coutume tribale immémoriale.
D’après l’anthropologue Lars Krutak, le port et la pratique du tatouage étaient réservés aux femmes. Elles étaient encrées sur les lèvres et les bras. Le large sourire noir était un atout pour se marier et de manière plus générale, le tatouage représentait une protection spirituelle ainsi qu’un laissez-passer pour rejoindre les ancêtres décédés. Dans le sud-ouest de l’archipel, l’historien Fumio Kakubayashi émet l’hypothèse que les Hayato étaient étroitement liés avec les Malais et les Polynésiens. Ce qui pourrait expliquer un usage répandu des ornements corporels, dont le Hajichi. Cette tradition est mentionnée seulement au 16e siècle. Pourtant, elle est sans doute plus ancienne. Dans le royaume de Ryūkyū, sur l’île actuelle d’Okinawa, les épouses arboraient des motifs de haricot sur les doigts et des formes géométriques sur les mains qui remontaient parfois jusqu’aux coudes. La légende affirmait qu’une femme morte non tatouée souffrirait dans l’au-delà.
Le Bokugei (墨黥)
Au début de la période Kofun (300 av. J.-C. — 600 apr. J.-C.), le tatouage japonais fut empreint de négativité. Il servait à marquer les criminels ayant commis des infractions graves. On l’appelait Irezumi-kei (入墨刑) ou Bokugei (墨黥). On encrait un signe sur le front ou sur les bras en fonction des délits pour les exhiber à la vue de tous. Deux ouvrages japonais, le Kojiki (Chronique des faits anciens, 712) et le Nihon shoki (Chroniques du Japon, 720), témoigne de ces pratiques et la population du royaume Yamato associa la vision du tatouage à l’archaïsme des indigènes ou à la criminalité. C’est ainsi que le tatouage disparu de la culture japonaise jusqu’au 17e siècle. L’Irezumi, tel qu’on le connaît, réapparait au cours de la période edo, popularisé par les peintures Ukiyo-e.
Sources :
The Artistic Evolution of Japanese Tattoo Culture, Anna Hass, August 2019
Iwao Seiichi, Sakamato Tarō, Hōgetsu Keigo, Yoshikawa Itsuji, Akiyama Terukazu, Iyanaga Teizō, Iyanaga Shōkichi, Matsubara Hideichi, Kanazawa Shizue. 119. Gishi Wajin-den → (chin. Wei-tche Wo-jen-tchouan). In: Dictionnaire historique du Japon, volume 6, 1981. Lettre G. p. 65 ;
Iwao Seiichi, Iyanaga Teizō, Yoshida Shōichirō, Ishii Susumu, Fujimura Jun’ichirō, Fujimura Michio, Yoshikawa Itsuji, Akiyama Terukazu, Iyanaga Shōkichi, Matsubara Hideichi. 138. Irezumi. In: Dictionnaire historique du Japon, volume 9, 1983. Lettre I. p. 73 ; http://kyon5kyon.free.fr/Aurore/Cours/Japon/Civilisations%20du%20Japon/Culture%20du%20Japon%20L1/CUJPTx1.pdf [trad. L. Caillet, in H.O. Rotermund (dir.), Religions, croyances et traditions populaires du Japon, Paris, Maisonneuve & Larose, 2000, pp. 25-26]
Kakubayashi, Fumio, « 隼人 : オーストロネシア系の古代日本部族 Hayato : An Austronesian speaking tribe in southern Japan », The bulletin of the Institute for Japanese Culture, Kyoto Sangyo University, no 3, 1998, p. 15-31 (ISSN 1341-7207, lire en ligne [archive]).
https://www.larskrutak.com/tattooing-among-japans-ainu-people
https://metropolisjapan.com/japanese-tribal-tattoos