Buzzworthy Tattoo History – Interview

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rédigé par Alexandra Bay

14 août 2018

Buzzworthy Tattoo History est un site sur le traditionnel américain. Il est tenu par Carmen Nyssen dont le grand oncle était un illustre tatoueur : Bert Grimm. Lorsque j’ai rédigé mon article sur le traditionnel américain, Buzzworthy a été une source d’informations précieuses. En effet, Carmen est une passionnée d’histoire mais une passionnée qui vérifie ses sources. Voici un site aux articles intéressants et fiables. J’ai eu envie de lui poser des questions sur le trad !
https://www.buzzworthytattoo.com/

Texte/Interview : Alexandra Bay – Traduction : Olivia Denton-Pouret

Alexandra Bay : Peux-tu nous raconter ta première rencontre avec le monde du tatouage ?

Buzzworthy tattoo history  – Carmen Nyssen : J’ai toujours été intéressée par le tatouage étant donné que mon grand-père était dans la Marine américaine et était tatoué ; de plus, mon arrière-grand-oncle, Bert Grimm, était un célèbre artiste tatoueur. Mais ce n’est qu’il y a 15 ans, que j’ai officiellement débuté mes travaux de recherche sur le sujet.

Abstraction faite de mon histoire familiale, je suis fascinée par la richesse de l’histoire du tatouage.

Carmen Nyssen

A.B. : D’où te vient cet intérêt pour l’histoire du tatouage ?

C.N : Abstraction faite de mon histoire familiale, je suis fascinée par la richesse de l’histoire du tatouage. Il y a tellement d’influences croisées entre différentes cultures et phénomènes culturels. Selon moi, cela n’existe nul par ailleurs. Le tatouage est «Aussi ancien que les temps d’antan, aussi moderne qu’aujourd’hui», comme on dit. C’est un sujet qui relie tant de cultures diverses sur des milliers d’années.

Portrait de James Cook par William Hodges vers 1775–1776.

Le mythe Cook

A.B. : Anna Felicity Friedman souligne que James Cook n’a pas été le premier à observer ou à mentionner le tatouage. Peux-tu retracer les premières traces du tatouage en Occident ?

C.N : Dans de nombreux domaines de l’histoire, les faits ont été traités de façon superficielle dans la culture populaire, et c’est de cette manière que le contexte plus étendu s’en est trouvé édulcoré. À mesure que ces histoires moins détaillées se sont répétées, encore et encore, sans vérification de leur véracité, elles s’en sont retrouvées davantage simplifiées. Les expéditions du Capitaine James Cook illustrent bien ce cas. Il a, certes, introduit le mot «tattoo» (au sens de « marquer la peau ») dans le langage courant de l’anglais, mais les descriptions de la pratique du tatouage dans l’Ouest remontent à bien avant l’époque de ses expéditions.

Je pense que beaucoup d’influences culturelles ont contribué à la pratique du tatouage en Occident. À mon sens, on ne l’a pas encore réellement compris. De nombreux aspects non documentés demandent à être pris en considération, et la situation est bien plus complexe qu’elle n’en a l’air. Ce n’est pas quelque chose à laquelle on peut répondre de façon satisfaisante en une si courte interview. Pour faire bref, on pourrait dire que l’expansion mondiale en Occident a joué un rôle majeur dans l’évolution du tatouage occidental à ce qu’il est aujourd’hui.

L’émergence des musées populaires, où le tatouage était devenu l’une des principales attractions, a largement contribué à faire de la pratique du tatouage un commerce établi.

Carmen Nyssen

Une fois toutes les routes maritimes plus précisément tracées, le monde s’est ouvert – pour le meilleur ou pour le pire – par le voyage maritime. Beaucoup de marins étaient tatoués ou eux-mêmes tatoueurs ; et de par leurs expéditions de port en port, ils ont influencé la pratique du tatouage dans le monde entier. Les villes portuaires sont devenues les plaques tournantes du tatouage. La ville de New-York, par exemple, est devenue l’un des principaux centres historiques de la pratique du tatouage. Non seulement du fait de la pratique traditionnelle du tatouage chez les marins, mais du fait de facteurs convergents.

Quelques-unes des premières foires présentant des gens tatoués en Occident étaient produites à New-York, la première ville à avoir porté à la connaissance du grand public, le tatouage au dermographe électrique. L’émergence des musées populaires (NDLT : les « dime museums » étaient des musées destinés à la classe populaire avec un prix d’entrée à dix sous), où le tatouage était devenu l’une des principales attractions, a largement contribué à faire de la pratique du tatouage un commerce établi.

Dessins de tatouage courants esquissés dans les SPC-A de Philadelphie de 1796 à 1818 (Dye 529)

Le tatouage de marins

A.B. : Sur plusieurs sites spécialisés dans l’histoire des marins, j’ai pu lire que ce sont les marins de Cook qui auraient été les premiers à arborer les tatouages des peuples autochtones, contribuant ainsi à faire connaître cette pratique en Europe. Quelle est la vérité derrière l’adoption du tatouage par les marins ?

C.N : Je n’ai pas personnellement étudié la documentation plus ancienne évoquant les tatouages pré-Cook. Toutefois, il apparaît que les marins portaient des tatouages avant l’époque de Cook.

A.B. : Depuis quand peut-on réellement retracer la pratique du tatouage chez les marins ?

C.N : Le manque de documents historiques fait qu’il est difficile de dater la pratique du tatouage chez les marins. Là encore, il y a beaucoup de recherches à faire avant de pouvoir formuler des conclusions concrètes.

Les motifs comme « Sailor’s Return » (NDLT : Le retour du marin), « Sailor’s Farewell » (NDLT : les Adieux du marin), et « Homeward Bound » (NDLT : Sur le chemin du retour) exprimaient des sentiments répandus chez ces hommes qui partent en mer et qui retrouvent leur femme ou leur chérie.

Carmen Nyssen

A.B. : Entre 1796 et 1818, un rapport rédigé par le SPC-A se penche sur le tatouage chez les marins. Toutefois, il n’y figure aucun motif polynésien parmi ceux observés. Quelles conclusions peut-on tirer de ce constat ?

C.N : Il est indéniable que les rencontres avec le tatouage polynésien traditionnel ont dû exercer une certaine influence sur les marins. Cependant, les motifs polynésiens ne « parlaient » pas forcément à la culture occidentale.

Aussi, les marins, en tant que sous culture unie, ont fini par développer leur propre langage au travers des motifs de tatouage, en relation direct avec leur culture de voyageurs maritimes. Les motifs comme « Sailor’s Return » (NDLT : Le retour du marin), « Sailor’s Farewell » (NDLT : les Adieux du marin), et « Homeward Bound » (NDLT : Sur le chemin du retour) exprimaient des sentiments répandus chez ces hommes qui partent en mer et qui retrouvent leur femme ou leur chérie.

Il existe d’autres motifs de nature plus superstitieuse, comme celui du cochon tatoué sur le pied pour se garder de la noyade. Les ancres croisées tatouées sur la peau palmée entre le pouce et l’index marquaient le rang de maître d’équipage, donc une identifIcation hiérarchique. Enfin, d’autres motifs, liés à la cérémonie du « passage de l’Équateur », étaient ritualisés.

Gus et Maud Wagner

Loin des océans

A.B. : Peut-on réellement dire que Gus Wagner fut l’un des premiers à populariser le tatouage grâce à ses activités de sideshow man et de tatoueur ? Est-il celui qui a véritablement introduit le tatouage sur le sol américain ?

C.N : Au début des années 1880, les spectacles de foires avec des gens tatoués ont fait sensation aux Etats-Unis, puis en Europe. James O’Connell a précédé cette vague de popularité, lorsqu’il a voyagé avec P.T. Barnum dans les années 1840, même si ses motifs n’étaient pas issus du tatouage occidental. Le Capitaine Constentenus n’échappe pas à cette logique. Selon les récits, ils aurait effectué ses tatouages en Birmanie. Gus Wagner est entré dans la danse bien après les musées populaires et les spectacles de foires des années 1880-1890.

A.B. : On raconte que Maud aurait proposé à Gus Wagner de lui apprendre le métier en échange d’un rendez-vous galant. Est-ce une légende ou y a-t-il une part de vérité dans cette histoire ?

C. N : On ne connaîtra probablement jamais le vrai de l’histoire. Même si une interview de journal rapporte cette histoire, il était courant de raconter ce genre de récit pour rendre la vie des tatoueurs et des personnes tatouées plus fascinante, afin d’attirer davantage de spectateurs dans les spectacles et les musées populaires.

Comme l’attestent les registres de la ville, il [Martin Hildebrandt] a ouvert son premier salon en 1859, au 361 Water Street.

Carmen Nyssen

A.B. : On dit également qu’ils auraient pratiqué le handpoke, après une rapide initiation au dermographe, jusqu’à la fin de leur vie. Est-ce bien le cas ?

C.N : C’est effectivement ce que l’on raconte. Il existe tout de même au moins une photo de Wagner tenant un dermographe électrique.

A.B : Albert Parry a écrit un livre passionnant sur le tatouage. D’après ses écrits, Martin Hildebrandt serait le premier tatoueur à s’installer en magasin en 1870, à Oak Street ? Est-ce vrai ? Visiblement, il n’était pas très tendre avec ses collègues.

C.N : On attribue souvent à Hildebrandt le mérite d’avoir ouvert le premier salon de tatouage professionnel. Je dirais qu’il était tout du moins, le premier artiste tatoueur dans la ville de New-York à avoir su attirer l’attention des journalistes. Comme l’attestent les registres de la ville, il a ouvert son premier salon en 1859, au 361 Water Street. Au fil des années, il ne figurait pas toujours dans les annuaires en tant que tatoueur ; parfois, on le répertoriait comme marin ou simplement comme artiste. Il est donc possible que d’autres tatoueurs aient exercé avant lui sans être officiellement reconnus comme tels.

Captain Harry DeCoursey tatoué par Martin Hildebrandt et Steven Lee.

Les freaks tatoués

A.B. : Le tatouage traditionnel américain entretient un lien étroit avec l’univers du sideshow — un sujet que j’ai beaucoup exploré. On lit souvent que Martin Hildebrandt aurait tatoué la première femme de sideshow, Nora. Mais il reste difficile de déterminer leur lien exact. Certains, comme l’autrice Amelia Klem Osterud, affirment qu’il s’agissait de sa femme, d’autres parlent de sa fille. De son côté, le Daredevil Tattoo Museum soutient qu’il n’existait aucun lien de parenté entre eux. Existe-t-il des sources fiables permettant de trancher ?

C.N : J’ai fait des recherches pour trouver un acte de mariage concernant Martin Hildebrandt et Nora Keaton (son nom de jeune fille). Je n’en ai pas trouvé, mais il est possible qu’une mauvaise retranscription orthographique ait fait disparaître l’acte des archives. Il se peut aussi que ces documents aient été jetés ou détruits dans un incendie. Ce sont des scénarios que l’on rencontre assez couramment lorsqu’on fait de la recherche.

J’ai moi-même fait le constat qu’à New York, il y a grand nombre de documents manquant sur cette période. Il y a un indice concernant l’état matrimonial de Nora et Hildebrandt. Les deux actes de mariage de Nora avec Jacob Gunther révèlent qu’elle s’est mariée deux fois pour des raisons inconnues. Ils stipulent également que son nom de famille précédent était Hildebrandt, et non son nom de jeune fille.Tout porte à croire qu’ils se sont bel et bien mariés.

Leur but était d’exposer leurs corps dans un contexte singulièrement novateur. Ils ont créé un nouveau phénomène culturel qui a introduit en Occident un exotisme ironique. Cela a fortement marqué les spectateurs.

Carmen Nyssen

A.B. : Qu’est-ce qui explique la fascination des Américains pour les exhibitions de tatoué(e)s ?

C.N : Le cirque et les musées populaires fascinaient généralement les Américains. C’étaient des phénomènes qui ont fait sensation, y compris pour les attractions de tatoués. Les propriétaires de musées et de cirques, ainsi que les artistes, ont utilisé diverses techniques pour attirer l’attention des clients. Ils ont mis en place des stratégies astucieuses pour séduire le public et maximiser leur fréquentation.

Les premiers spectacles de tatoués, avec leurs motifs occidentaux innovants, ont sans doute attiré un grand nombre de spectateurs. Ces spectacles ont captivé les foules, qui étaient fascinées par l’originalité et la nouveauté des motifs présentés. Les organisateurs des foires précédentes présentaient des tatoués arborant des motifs exotiques, venus de Polynésie ou de Birmanie. Le public percevait cependant ces tatouages comme trop étrangers, tandis que les bêtes de foires auto-tatouées apportaient un contraste frappant. Leurs tatouages n’étaient pas tant la source d’intérêt, mais plutôt leur place dans le contexte culturel occidental.

Ce n’était pas de ces personnes qui avaient accumulé des tatouages au hasard, tout au long de leur vie. Ils avaient volontairement choisi de se faire tatouer, se couvrant de motifs réalisés à l’aiguille. Cette pratique, quasi-rituelle, s’inspire d’autres cultures de tatouage traditionnelles et perpétue des usages ancestraux. Leur but était d’exposer leurs corps dans un contexte singulièrement novateur. Ils ont créé un nouveau phénomène culturel qui a introduit en Occident un exotisme ironique. Cela a fortement marqué les spectateurs.

A.B : D’ailleurs, il semblerait que Constentenus se soit fait tatouer uniquement pour gagner sa vie ?

C.N : C’est encore une histoire qu’il serait difficile de vérifier.

Le tatouage et son histoire sont omniprésents dans la culture populaire aujourd’hui, rendant le sujet banal dans les médias. La plupart des articles, qu’ils soient dans les journaux, magazines, blogs ou réseaux sociaux, offrent une approche convenue du tatouage.

Carmen Nyssen

Une histoire du tatouage complexe

A.B : Pourquoi est-ce si difficile de trouver des traces historiques fiables sur le tatouage ?

C.N : Il y a plusieurs raisons à cela. Jusqu’à récemment, l’histoire du tatouage se transmettait principalement par voie orale. Ce mode de transmission est lié au caractère souvent mystérieux des tatoueurs eux-mêmes. Par la suite, les récits écrits se sont appuyés sur cette tradition orale et sur des reportages de presse. Ces articles étaient eux-mêmes influencés par la subjectivité des journalistes et les récits invraisemblables, parfois autopromotionnels, des artistes.

Il y a très peu de temps que des chercheurs/historiens ont commencé à bâtir des bases plus solides. Ils ont incorporé toutes sortes de documents historiques et de transmission orale à leurs études. Mais il reste encore tellement à découvrir et malheureusement, les études les plus récentes empêchent l’émergence de travaux moins documentés. Le tatouage et son histoire sont omniprésents dans la culture populaire aujourd’hui, rendant le sujet banal dans les médias. La plupart des articles, qu’ils soient dans les journaux, magazines, blogs ou réseaux sociaux, offrent une approche convenue du tatouage.

À ceux qui s’intéressent à l’histoire du tatouage, il est préférable de construire vos connaissances à partir de vos lectures.

Carmen Nyssen

Les auteurs de ces textes ne possèdent pas toujours une connaissance approfondie du tatouage. Souvent, ces auteurs se contentent de réitérer des travaux mal documentés, qui continuent à circuler sans approfondissement. Ils appauvrissent ces travaux en simplifiant et en interprétant leur contenu, ce qui dilue la vision d’ensemble. Reprendre des informations sans recherche approfondie altère et dénature la compréhension du contexte historique, ce qui complique la situation. C’est un problème complexe, car l’engouement populaire pour le tatouage en fait un sujet particulièrement actuel et débattu.

A.B : Quels seraient les ouvrages de référence pour un passionné de tatouage ?

C.N : Cela dépend vraiment du centre d’intérêt de la personne. Certains s’intéresseraient uniquement à l’imagerie du tatouage, d’autres au contexte historique, d’autres à une approche plus directe. Il existe des ouvrages pour tous les goûts, et je ne voudrais pas promouvoir un livre plutôt qu’un autre. La préférence personnelle joue un rôle majeur, c’est pourquoi je recommande de commencer par des livres qui vous conviennent. À ceux qui s’intéressent à l’histoire du tatouage, il est préférable de construire vos connaissances à partir de vos lectures.

Retrouver l’interview dans Tattow Stories 2 [non réédité] :

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