En 2010, Maria Oggay alias « Whang-Od » a été révélée par Lars Krutak dans la série « Tattoo Hunter ». L’anthropologue américain la présentait alors comme la dernière mambabatok (tatoueuse) de Buscalan. Devenue populaire, Whand-Od vit désormais du tatouage ainsi que son village tout entier. En 2018, la commission nationale pour la culture et les arts (CNCA) lui a décerné le prix « Dangal ng Haraya award ».
Texte : Alexandra Bay – Article publié dans Tatouage Magazine
« Apo Whang-Od est depuis longtemps reconnue et respectée dans sa communauté en tant que maître tatoueur. Sa pratique a commencé au début de son adolescence et depuis, elle a tatoué des aînés, des femmes et des guerriers de sa communauté selon la pratique traditionnelle des Kalinga : utiliser du charbon comme encre et des épines de calamondin pour percer la peau » a déclaré la Commission nationale pour la culture et les arts (NCCA) dans un communiqué de presse en mai 2018.
Un prix pour l’art du tatouage
Le 25 juin 2018, à Kalinga, Apo Whang-Od a reçu le prix « Dangal ng Haraya » du NCCA pour sa pratique du tatouage reconnue comme patrimoine culturel immatériel Philipin. C’est la première fois qu’un artiste en arts traditionnels folkloriques reçoit ce prix. Le NCCA a reconnu que Whang-Od était la plus ancienne tatoueuse de la communauté Butbut, sous-ethnie Kalinga. De plus, elle a attiré l’attention du monde entier sur la culture philippine et promu la pratique du tatouage traditionnel.
L’occident a découvert Whang-Od dans la série « Tattoo Hunter » en 2010. L’anthropologue américain Lars Krutak présente alors la dernière mambabatok de Buscalan. Whang-Od est la dernière tatoueuse de sa région ; la seule à connaître les techniques et les symboles d’un tatouage ancestral. Âgée de 90 ans, la Philippine au sourire gracieux porte alors à bout de bras l’héritage de sa tribu.
Avec une grande force de caractère, la tatoueuse réussit à attirer l’attention du monde entier sur son village. Apo (signe de respect en Philippin) Whang-Od multiplie les parutions et la planète s’émeut de la perte imminente de la culture traditionnelle du tatouage Kalinga. Le tourisme afflue alors à la rencontre de ce petit bout de femme au fin fond du Buscalan.
Whang-Od chante ses expériences personnelles dans « Ullalim », la ballade des Kalinga.
Qui est Whang-Od ?
Whang-Od est peut-être née, il y a plus de 100 ans. L’état civil philippin ne se déplaçait pas pour enregistrer les bébés nés dans les montagnes de la cordillère. Alors, Whang-Od n’a pas d’acte de naissance. Elle a seulement obtenu une pièce d’identité postale en 2017 !
Officiellement, sa date de naissance est le 17 février 1917. Elle aurait actuellement 102 ans. Elle appartient à l’ethnie des Butbut de la tribu Kalinga. Son père était tatoueur, soit mambabatok. Les Kalinga étaient des chasseurs de têtes comme les Konyak (Tatouage Magazine 129).
Whang-Od chante ses expériences personnelles dans « Ullalim », la ballade des Kalinga, souligne Arvin Manuel R. Villalon, professeur de psychologie à l’Université des Philippines. D’ailleurs, plus jeune, Whang-Od était considérée comme une chanteuse et danseuse exceptionnelle. Vers l’âge de 15 ans, elle se fait tatouer pour la première fois par Wagay un vieil homme du village voisin Ngibat.
Son père l’encourage à se faire tatouer. En effet, une femme tatouée est plus belle aux yeux des hommes. C’est un attrait supplémentaire pour se marier. Le vieux tatoueur Wagay choisit le dessin et lui encre les bras durant 4 jours. Il va lui tatouer le bras droit pendant 1 jour et le bras gauche pendant 3 jours.
Une femme mambabatok
À la même période, son père lui apprend l’art du batok. Whang-Od devient alors mambabatok. Elle est alors la seule artiste tatoueuse. Arvin R. Villalon raconte : « Les artistes sont généralement des hommes, et Whang-Od était l’une des rares femmes à pratiquer ce métier. Au début de sa pratique de tatouage, elle était considérée comme la meilleure de son village et sa réputation a fini par atteindre d’autres villages. »
À l’époque, il est courant d’échanger sur les pratiques avec les artistes alentour. À l’âge de 20 ans, Whang-Od se fait aussi tatouer les bras par un artiste de Lubo, un village voisin. Whang-Od porte le sinokray, c’est un tatouage appelé manches de chemise. Il donne l’illusion d’un vêtement. C’est un tatouage rare. Ses jambes sont recouvertes de « ses marques de pratique ». Elle s’est entraînée à tatouer sur ses propres jambes.
Whang-Od n’est pas mariée et n’a pas d’enfant. Elle avait un amoureux qui est décédé dans un accident d’exploitation forestière. Jeune femme, elle avait 25 ans. Elle n’a jamais refait sa vie et s’est consacrée à son rôle de mambabatok. Lorsque Lars Krutak l’a présentée au monde, Whang-Od n’avait pas de successeur. Elle n’avait qu’un souhait, celui de préserver la tradition du batok. Depuis, elle transmet son savoir-faire et ses connaissances à ses arrières petites nièces, Ilyang et Grace.
« […] Whang Od était l’une des rares femmes à pratiquer ce métier. Au début de sa pratique de tatouage, elle était considérée comme la meilleure de son village […] »
Nourris par le Batok
Aînée d’une famille de 7 enfants, Whang-Od n’est pas seule pour autant. Elle s’occupe généreusement de sa famille élargie, ses frères et sœurs ainsi que ses arrières petites-nièces. Depuis la mise en lumière de ce petit bout de femme au visage de poupée, Buscalan est pris d’assaut par le tourisme local et international.
C’est un village rural avec des conditions de vie spartiates. Il n’y a pas de réception téléphonique. Le réseau de distribution d’eau et d’électricité est sporadique. À partir de Manille, il faut 10 heures de bus, 2 heures de 4×4, puis 1 h à 2 h de marche pour rencontrer Whang-Od.
Cependant, le village de Buscalan vaut bien tous ces efforts. Contempler les montagnes escarpées vert émeraude est déjà une récompense. Le guide local vous emmènera jusqu’à la maison de Whang-Od, à l’entrée du village. Par contre, il faudra être patient, car l’affluence est incroyable.
D’ailleurs, de nombreux écriteaux sur le chemin du village préviennent : « Le mambabatok peut être submergé par tant de gens qui veulent ses œuvres d’art. Il faut beaucoup de temps pour venir ici, mais cela ne vous autorise pas à exiger quoi que ce soit. Si vous ne pouvez pas attendre, vous ne méritez pas cette œuvre d’art rare. »
Si vous avez la chance de vous faire tatouer par Apo Whang-Od, vous pourrez observer la technique ancestrale du batok. La femme a la réputation d’avoir beaucoup humour et de taquiner la gent masculine. Par contre, elle a un sacré caractère comme nous le confirmait la tatoueuse Jay Sampaguita dans son interview (Tatouage Magazine 129).
« Il faut beaucoup de temps pour venir ici, mais cela ne vous autorise pas à exiger quoi que ce soit. » — écriteau sur le chemin de Buscalan
Technique ancestrale
Whang-Od met un point d’honneur à préserver son savoir et tatouer selon la tradition Kalinga. La mambabatok disait à Lars Krutak : « Le tatouage est une expérience religieuse rituelle et sérieuse. Les esprits attendent du tatoué qu’il agisse avec courage. S’il ne le fait pas, ils infligeront la mort et la destruction à la communauté. »Avant de tatouer et de faire « couler le sang », elle répète un chant pour protéger le tatoué d’éventuels dommages spirituels.
Puis, Whang-Od se lance dans un rituel vieux de plus de mille ans. Dans sa maison sur pilotis, elle prépare le whiyyu (l’encre). Elle récure la suie et la mélange avec de l’eau dans son bol en noix de coco. Elle martèle le liquide avec un tubercule de patate douce. Le mélange doit être le plus fin possible. Avec une tige de riz, elle trace le motif souhaité sur la peau.
Puis elle plonge le gisi, l’épine d’orange fixée à un bâtonnet de bambou, dans l’encre. Avec un deuxième petit bâton, Whang-Od se lance dans l’exécution du tatouage. C’est un geste mécanique qu’elle répète maintenant depuis près de 90 ans et qu’elle répètera certainement jusqu’à son dernier souffle.
Sources et Livres :
« Batek: Traditional Tattoos and Identities in Contemporary Kalinga, North Luzon Philippines », Ikin V. Salvador-Amores
« Kalinga Tattoo: Ancient and Contemporary Expressions of the Tribal. » Krutak, Lars
« The last tattoed women of kalinga » – Jake Verzosa