Bocanje križa, le tatouage des Balkans

Avec des motifs simples, le tatouage bosniaque « Bocanje križa » est pourtant la somme complexe de différentes cultures qui ont colonisé le territoire de Bosnie-Herzégovine durant des millénaires. De l’antiquité aux invasions ottomanes, le Bocanje s’est transformé au fil des siècles pour revêtir une forte identité religieuse. Cependant, il puise ses origines dans les traditions païennes des Iapodes, proches voisins des Thraces.

Texte : @Alexandra Bay – Article publié dans Tatouage Magazine

C’est presque une image d’Épinal. Foulard sur la tête, chemise et jupon amples blancs, tablier noir qui marque la taille, la femme bosniaque catholique porte sur les bras, le visage et le torse, les traces bleutées de tatouages traditionnels. Les anciens l’appelaient Bocanje križa, mais aussi : bocanje, bockanje, sjecanje te sicanje. Si le tatouage bosniaque puise sa principale symbolique dans la religion, il remonte pourtant à l’âge de bronze.

Femmes des Balkans Photo @Jean-Claude Montbarrey Sciences voyages N°24 Juin 1937
Femmes des Balkans Photo @Jean-Claude Montbarrey Sciences voyages N°24 Juin 1937

Entre le IXe et le Ier siècle av. J.-C., les Iapodes vivent sur les versants occidentaux et orientaux des Alpes Dinariques (Bosnie-Herzégovine). C’est un peuple de tradition orale. Les seuls témoignages résident dans les écrits grecs et romains. Dans « Géographie », le grec Strabon évoque une tribu barbare : « Les Iapodes, peuple formé d’un mélange d’Illyriens et de Celtes, habitent dans les environs, et le mont Ocra est dans leur voisinage. Ils comptaient beaucoup d’hommes vaillants et s’étendaient de chaque côté de la montagne, dominant par le brigandage. » Influencés par les Thraces, les Iapodes pratiquent le tatouage. Dans ses écrits, Strabon observe : « Cette région est pauvre, ils vivent principalement de serpentine et de mil ; leurs armes sont celtiques et ils sont perforés comme d’autres Illyriens et Thraces. »

Comme pour les Thraces, les scientifiques pensent que le tatouage chez les Iapodes était une pratique plutôt féminine.

L’historien Luc Renaut fait un rapprochement entre les Thraces tatouées des vases grecs et les tatouages bosniaques.

Quelques vases grecs représentent les femmes thraces tatouées. Grâce à ces vestiges, on peut imaginer les tatouages portés par les Iapodes. L’historien d’art français Luc Renaut souligne : « le répertoire géométrique du tatouage bosniaque ne contredit pas celui que nous allons retrouver sur les vases grecs. » On observe ainsi la même géométrie et la symétrie caractéristique du bocanje « dont les fameux motifs circulaires entourés d’un halo de points ou de traits ».

Comme pour les Thraces, les scientifiques pensent que le tatouage chez les Iapodes était une pratique plutôt féminine. Dans l’article « Les Iapodes – peuple protohistorique de Croatie », les archéologues Lidjijac Bakaric, Lionel Pernet et Ivan Rdaman-Livaja proposent une représentation de la femme Iapode au VIIIe siècle av. J.-C. (voir illustration). On retrouve sur sa peau les symboles actuels du bocanje comme le Jelica (sapin), les klas (épis), les sunce (soleils) et les zvijezde (étoiles).

Bocanje križa @Truhelka 1894-1896
@Truhelka 1894-1896

Est-ce que cette projection est réaliste ? Il s’agit de la « restitution de la défunte de la sépulture de Kosinj ». Si de nombreux éléments de son costume ont bien été préservés, malheureusement le squelette avait disparu. Pourtant, il est aisé d’imaginer que les Iapodes rendaient hommage à leurs divinités ainsi qu’à la nature qui les entoure, alors, pourquoi pas sous forme de tatouages ?

S’agissant de coutume, les Iapodes transalpins conservent le tatouage traditionnel. Dans la montagne, ils perpétuent leur culte sans représailles.

Au sujet de leur spiritualité, l’archéologue français Lionel Pernet résume : « Il n’y a pas de sources écrites sur le sujet ni de véritables preuves matérielles. La divinité traditionnelle se nommait Bindus, dieu des sources et des cours d’eau, pour laquelle un sanctuaire a été érigé à l’époque romaine près du village de Privilica (Bihac). Les Romains ont importé leurs divinités et leurs traditions religieuses, tout en permettant aux Iapodes de perpétuer les leurs […] » Au fil des siècles, la religion va prendre le pas sur le symbolisme païen du Bocanje križa.

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Alexandra Bay

+++ Auteure de LOVE, TATTOOS & FAMILY, (ISBN : 2916753214) +++ Co-Fondatrice de FREE HANDS FANZINE +++ TATTOW STORIES +++