Avec fierté, les Apatanis (ou Apa Tanis) arborent le tatouage clanique, une ligne sur le visage. Seules les femmes portent les larges bouchons de nez, le yapinghule et les ruting yarang, de larges anneaux dans les oreilles. La légende commune explique que le Yapinghule servait à enlaidir les femmes. Cependant, les contes Miji – Migung révèlent une histoire bien différente.
Texte : @Alexandra Bay
Dans le nord-est de l’Inde, la tribu des Apatanis ou taniis a longtemps été préservée du monde moderne. Dans la vallée de Ziro, le clan a construit 7 villages situés à environ 1 heure de marche les uns des autres. Sur ce petit territoire de 32 km2, ils ont maintenu un lien social fort grâce aux rituels traditionnels. La vallée est située à la limite du Myanmar.
À partir de 1897, les colons Britanniques leur rendent quelques visites, sans succès. Une administration européenne s’installe seulement en 1944 au nom de la science. Christoph Von Fürer-Heimendorf est le premier ethnologue à étudier les us et coutumes de la tribu Apa tani. En 1962, il publie « The Apa tanis and their neighbours ».
Il va réaliser un important travail d’immersion. Son livre est l’un des rares témoignages sur la culture des Apatanis. De tradition orale, il n’existe pas d’écrits anciens sur l’histoire de la tribu. Certaines pratiques restent et resteront toujours un mystère, comme le Yapinghule ou Yaping Hulo, les bouchons de nez des femmes.
Il est de la responsabilité des individus de promouvoir la beauté esthétique et la bonté dans leurs vêtements et leurs ornements.
Beauty around the World: A Cultural Encyclopedia
Les contes Miji-Migung
Pour comprendre les coutumes des Apatanis, il faut écouter les Miji — Migung. Le Miji est un ensemble de chants religieux que les prêtres psalmodient durant les sacrifices rituels. Le prêtre chante sans relâche, entre dix minutes à 12 heures ! Il honore les esprits et les dieux. Tandis que les Migung racontent des histoires sous forme de proses.
Ces contes folkloriques reviennent sur les origines du monde. En chanson ou en poésie, les Apatanis rendent hommage à leur ancêtre Abotani ou au créateur de l’univers Sedi. Les os de ce dernier se sont changés en montagnes et en rochers. Ses larmes ont coulé. Elles sont devenues l’eau et la pluie. Sa chevelure a pris racine. Elle a offert aux humains les plantes nécessaires à leur survie. Ses yeux sont le soleil-Donyi (masculin) et la lune-Polo (féminin). D’ailleurs, c’est le nom de leur religion animiste : Donyi-Polo.
L’encyclopédie de la beauté émet l’hypothèse que les ornements corporels des femmes taniis rendent hommage à la beauté et donc à la bonté. L’encyclopédie écrit : « Le système éthique de cette idéologie de la création insiste sur le fait que ces yeux dans le ciel focalisent la lumière et permettent aux humains de prendre conscience du bien, qui peut être mesuré par la beauté, la pureté et la simplicité. Il est de la responsabilité des individus de promouvoir la beauté esthétique et la bonté dans leurs vêtements et leurs ornements. » (Beauty around the World: A Cultural Encyclopedia). Cette explication est en partie vraie. Cependant, ce n’est pas la principale raison. Ce que révèle le blog savetanii.blogspot.com
Dieu lui a dit de se tatouer le visage, de porter des bouchons de nez et des « ruting yarang » — les boucles d’oreilles.
Kui kupe mi tiipe lenyo la
Sur son blog, l’auteur explique que le conte « Kui kupe mi tiipe lenyo la » est à l’origine des pratiques du tatouage, du yapinghule et des ruting yarang. La légende Miji-Megung révèle l’histoire d’Ami Niidon Biinyi. Cette femme était très belle et attendait une proposition en mariage. Le temps a passé et elle a vieilli. Toujours seule, Ami avait peur de ne jamais devenir mère. Alors, elle a demandé à Dieu de l’aider. Elle voulait retrouver sa jeunesse et sa beauté perdues. Dieu lui a dit de se tatouer le visage, de porter des bouchons de nez et des « ruting yarang » — les boucles d’oreilles.
Grâce à ces bijoux, Miido Jindo Tajing l’a demandé en mariage. Ils ont donné naissance au clan des Khalos qui ont peuplé différentes parties du monde. Dans la vallée de Ziro, le khalos Pinsang Guyt a vu un dessin sur le pin. Il voulait garder ce dessin avec lui. Alors il se l’ai fait tatouer. Puis la tribu des Apatanis a repris ce tatouage pour lui rendre hommage. Cette histoire mythologique explique la pratique du tatouage, du Yapinghule et des ruting yarang chez les femmes. Tout comme Ami, elles souhaitaient rester belles et fertiles pour se marier.
Une autre légende plus commune révèle que les femmes Apatanis se sont enlaidies volontairement. Elles craignaient les enlèvements des tribus ennemies, notamment les Nishi. L’anthropologue Tom Wyke (2015) écrit : « Bien que personne ne soit vraiment certain du début de la pratique des bouchons de nez pour les femmes, l’histoire généralement acceptée selon laquelle les villages de tout Arunachal Pradesh pratiquaient de vastes raids parmi les tribus voisines.
Certains pensent que les bouchons nasaux traditionnels ont été conçus pour protéger les jeunes femmes de la tribu en les rendant moins attrayantes pour les raids, en particulier les Nishi, qui vivaient dans les hauts plateaux au-dessus des villages apa tani. » Cette légende orale est la principale explication actuelle. L’auteur de savetanii.blogspot.com pense que les Apatanis ont oublié la mythologie pour favoriser une hypothèse mieux tolérée par les esprits cartésiens des sociétés modernes.
Les femmes se perçaient également de larges trous dans les lobes d’oreilles pour porter les « rutting yarang ». Ce sont des anneaux plats en laiton qui mesurent 10 cm de diamètre.
Le Yapinghule
Que ce soit pour s’enlaidir ou devenir belles, les femmes Apatanis ont porté le Yapinghule jusque dans les années 70. Le Gouvernement a ensuite interdit la pratique. Dès la puberté, les jeunes filles portaient les bouchons de nez. On perçait le nez et on y insérait un fil pour garder la plaie ouverte. Afin d’élargir le trou, il fallait introduire progressivement des bouts de bambou ou de canne. C’était une opération longue et douloureuse, car le cartilage des narines est épais. Comme des écarteurs classiques, les femmes changeaient de diamètres jusqu’à obtenir la taille la plus large possible.
En général, les bouchons mesuraient 35 mm de diamètre. Cependant, par esprit de compétition, les femmes tentaient de plus larges bouchons, parfois jusqu’à 5 cm. Les Apatanis fabriquaient les bouchons de nez en brûlant des morceaux de bambou ou de canne. Ensuite, ils frottaient avec vigueur les morceaux arrondis sur une surface dure. Il s’agissait d’aplatir et de lisser les bouchons de nez. Les femmes se perçaient également de larges trous dans les lobes d’oreilles pour porter les « rutting yarang ». Ce sont des anneaux plats en laiton qui mesurent 10 cm de diamètre. Seules les femmes portaient ces ornements corporels. Par contre le tatouage était la marque du clan.
Tatouages faciaux
En effet, les tatouages faciaux – ou tiipe – étaient un marqueur identitaire. Il n’y avait donc pas de différences selon les classes sociales. Les Apatanis se démarquaient juste des autres clans avec ce signe distinctif. Les hommes et les femmes se faisaient tatouer dès la puberté. Les hommes portaient seulement un trait épais au milieu du menton. Tandis que les femmes se faisaient tatouer une ligne du haut du front jusqu’au bout du nez. Puis, le tatouage finissait avec cinq bandes du bord de la lèvre inférieure jusqu’au bout du menton.
Comme le Yapinghule, le tatouage était aussi d’origine mythologique. Le khalos Pinsang Guyt avait recopié le dessin des pins qui poussaient dans la vallée de Ziro. Le pin était souvent utilisé dans les rituels. Ainsi, la ligne tatouée sur le visage des femmes représentait l’arbre. Pour les hommes, elle rappelait aussi le bobo, une tour de 15m située au centre du village. Cette structure servait lors de duels de bravoure. La marque du clan se méritait. Si le tatouage ne durait qu’une seule journée, il n’en restait pas moins douloureux.
Il n’y avait pas de tatoueurs professionnels. Le choix se portait sur les amis et la famille. Souvent, les anciennes du village tatouaient les petites filles. La séance se pratiquait sur la place publique comme signe d’un acte de bravoure. On appliquait une poudre noire sur le visage pour marquer la ligne. Puis on préparait l’encre Chinyu, un genre de pâte de suie et de graisse de porc. Cette encre était lentement introduite sous la peau grâce au empiia yahko, un petit marteau. Cette pratique millénaire a été interdite en 1974. Elle était considérée comme discriminatoire. Dans la volonté de créer une identité commune, les autorités birmanes ont achevé de supprimer toute forme de distinction tribale.
Livres – Mémoires :
« Beauty around the World: A Cultural Encyclopedia » d’Erin Kenny et Elizabeth Gackstetter Nichols
« The Institutionalization of Tribal Religion Recasting the Donyi-Polo Movement in Arunachal Pradesh » de Sarit Kumar Chaudhuri
« Culture Change, Globalization and Disappearance: A Study in Arunachal Pradesh
Sarma, Rashmirekha » de Sarma, Rashmirekha
« The Apatanis and their neighbours » de Christoph Von Fürer-Heimendorf
« The Sun rises – A shaman’s chant, ritual exchange and fertility in the apatani valley » de Stuart Blackburn